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poésies

Que des objets sans traits pour mes yeux sans désir,
Trop faible à m’élancer au delà de mon être,
Je rentrais dans ma vie, en te cherchant peut-être ;
Car, toujours comme toi brûlante avec langueur,
Sans t’avoir vu des yeux, je te cherchais du cœur !

Et je disais le soir aux vives étincelles
Qui dans l’ombre éclairaient mes doutes à genoux :
« Dieu jette-t-il aux nuits de si douces parcelles,
Pour écrire son nom entre le ciel et nous ! »

Et je rêvais le bruit de feuilles immortelles
Qui ne s’envolent plus sous l’haleine de l’air,
Sans nuit, sans froid, sans peur d’expier par l’hiver
De longs jours transparents comme les cœurs fidèles !
Et puis, en frissonnant, j’osais rêver encor
Je ne sais quel appui qui manquait à mon sort !

Là, du moins, je voyais les pauvres sans alarmes,
Sortis de leurs lambeaux, que Dieu n’a pas perdus,
Rassasiés d’un pain qui ne s’épuise plus,
À l’immense festin payé de tant de larmes ;

Un roi, de l’homme nu devinant les douleurs,
Sans sceptre, sans couronne, à la pitié sensible,
Agenouillé devant sa victime paisible,
Pesant ses fers tombés et les mouillant de pleurs ;

Du riche repentant l’âme enfin éclairée,
Versant un doux breuvage à quelque âme altérée :
C’était beau ! c’était tout. Quand ta voix me parla,
Le rideau s’entr’ouvrit, l’éternité brûla !