Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ſe retirent, mais auſſi à toutes les plus belles demeures de France & d’Italie, meſme à ce celebre Hermitage dans lequel vous eſtiez l’année paſſée. Quelque accomplie que puiſſe eſtre vne maiſon des chams, il y 5 manque touſiours vne infinité de commoditez, qui ne ſe trouuent que dans les villes ; & la ſolitude meſme qu’on y eſpere, ne s’y rencontre iamais toute parfaite, Ie veux bien que vous y trouuîez vn canal, qui faſſe rêver les plus grans parleurs, & vne valée ſi ſolitaire, 10 qu’elle puiſſe leur inſpirer du tranſport & de la joye[1] ; mais mal-aiſément ſe peut-il faire, que vous n’ayez auſſi quantité de petits voiſins, qui vous vont quelquefois importuner, & de qui les viſites ſont encore plus in|commodes que celles que vous receuez à Paris ; au 15 lieu qu’en cette grande ville où ie ſuis, n’y ayant aucun homme, excepté moy, qui n’exerce la marchandiſe, chacun y eſt tellement attentif à ſon profit, que i’y pourrois demeurer toute ma vie ſans eſtre iamais vu de perſonne. Ie me vais promener tous les iours 20 parmy la confuſion d’vn grand peuple, auec autant de liberté & de repos que vous ſçauriez faire dans vos allées, & ie n’y conſidere pas autrement les hommes que i’y voy, que ie ſerois les arbres qui ſe rencontrent en vos foreſts, ou les animaux qui y paiſſent. Le bruit 25 meſme de leur tracas n’interromt pas plus mes réveries, que ſeroit celuy de quelque ruiſſeau. Que ſi ie fais quelquefois reflexion ſur leurs actions, j’en reçoy le meſme plaiſir, que vous feriez de voir les païſans qui cultiuent vos campagnes ; car ie voy que tout leur

  1. Sur ce canal et ce désert, voir lettre 15 du Livre I, p. 123-128 des Œuvres de M. de Balzac (7e édit., Paris, 1628).