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1-73-74- CCCLXXX. — Mai ou Juin 164$. 219

On peut, ce me femble, ayfement remarquer icy la différence qui eft entre l'entendement & l'imagination ou le fens ; car elle eft telle, que ie croy qu'vne per- fonne, qui auroit d'ailleurs toute forte de fuiet d'eftre 5 contente, mais qui verroit continuellement reprefenter deuant foy des Tragédies dont tous les ades fuffent funeftes, & qui ne s'ocuperoit qu'à confiderer des obiets de triftefTe & de pitié, qu'elle fceuft eftre feints & fabuleux, en forte qu'ils ne fiffent que tirer des

io larmes de fes yeux, & émouuoir fon imagination, fans toucher fon entendement, ie croy, dis-ie, que cela feul fuffiroit pour acoutumer fon cœur à fe refTerrer & à ietter des foupirs , en fuite de quoy la circulation du fang eftant retardée & allentie, les plus grofTieres par-

i5 ties de ce fang, s'attachant les vnes aux autres, pour- raient facilement luy opiler la rate, en s'embaralTant & s'arreftant dans fes pores ; & les plus fubtiles, rete- nant leur agitation, luy pourroient altérer le poumon, & caufer vne toux, qui à la longue feroit fort à

20 craindre. Et, au contraire, vne perfonne qui auroit vne infinité de véritables fuiets de déplaifir, mais qui s'étudieroit auec tant de foin à en détourner fon ima- gination, qu'elle ne penfaft iamais à eux, que lors que la neceffité des affaires l'y obligeroit, & qu'elle em-

25 ployafttout le refte de fon temps à ne confiderer que des obiets qui luy puffent apporter du contentement & de la ioye, outre que cela luy feroit grandement vtile, pour iuger plus fainement des chofes qui luy importeroient, pource qu'elle les regarderoit fans paf-

3o fion, ie ne doute point que cela feul ne fuft capable de la remettre en fanté, bien que fa rate & fes pou-

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