Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/553

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CDLIII. — I er Novembre 1646. $jo

» i'ormoient les autres pensées; mais dans toutes ces variations il gardoit » toujours quelque chose de serein et d'assez agréable. Lors néanmoins » qu'elle desaprouvoit quelque chose extraordinairement, son visage se » trouvoit d'un certain air troublé, qui sans se défigurer ne laissoit pas de » donner de la terreur à ceux qui le regârdoient. Le ton de sa voix étoit » pour l'ordinaire assez doux, pour que l'oreille pût juger aisément que » c'étoit la voix d'une fille, quoy que ses paroles, en quelque langue » qu'elle parlât, eussent une fermeté tout-à-fait mâle et extraordinaire. » Mais il luy arrivoit quelquefois de changer ce ton, et cela sans affecta- » tion ou cause apparente. Souvent elle en prenoit un plus robuste et plus » fort que celuy de son sexe, qui revenoit pourtant peu à peu à sa mesure » ordinaire. Elle avoit la taille un peu au dessous de la médiocre ; ce qui n n'auroit point paru, si elle avoit voulu se servir de la chaussure ordi- » nairc des Dames. Mais pour sa liberté, soit dans son Palais, soit dans » la campagne, à cheval et à pied, elle portoit des souliers à simple sc- » melle, d'un petit maroquin noir, tout semblables à ceux des hommes. »

Quant à son intérieur, que M. Chanut avait étudié beaucoup plus par- ticulièrement, « elle avoit », dit-il, « [en marge : M. Chanut écrivoit cela » plusieurs années avant qu'elle se fût rendue catholique], un grand sen- » timent de la Divinité et un attachement fidelle au Christianisme, n'ap- » prouvant jamais que, dans les entretiens des sciences, on mit à part la » doctrine de la Grâce, pour philosopher à l'antique. Ce qui n'étoit pas » conforme à l'Evangile passoit dans son esprit pour rêverie. Sur le fait » des questions qui divisent les Evangéliques et les Réformez d'avec n nous, elle n'avoit point d'aigreur dans la contestation. Mais il ne parois- » soit pas qu'elle eût pris un si grand soin de s'informer de ces difficultez » comme de. celles qui nous sont faites en général par les Philosophes, les Gentils, et les Juifs, sur lesquelles son raisonnement clair et pres- » sant étoit une marque de l'application qu'elle avoit eûë à s'en faire ins- » truire, et à se faire un fondement ferme pour le reste de sa vie, avec cet » esprit équitable dont elle traitoit toutes les questions de religion. On » peut dire que dés-lors elle n'étoit Luthérienne que par éducation, et » par le défaut de connoissance qu'elle avoit de notre créance dans sa » pureté. Elle étoit quelquefois surprise, lorsque, reprochant à M. Cha- » nut les erreurs dont les Protestans accusent les Catholiques, il demeu- » roit d'accord de les condamner, parce qu'en effet ces erreurs étoient » faussement imputées à l'Eglise catholique. Pour les Calvinistes, elle ne » les pouvoit souffrir sur leur doctrine de la prédestination; et elle leur » disoit souvent, en présence de M. Chanut, que les Evangéliques (ou » Luthériens) étoient au fonds moins éloignez des Catholiques que des » Réformez (ou Calvinistes). Sa dévotion envers Dieu paroissoit plus » encore dans la confiance qu'elle témoignoit avoir en sa protection qu'en » toute autre chose, n'étant pas du reste scrupuleuse aux démonstrations » d'une dévotion cérémonieuse et affectée. »

« Anrés la piété, elle n'avoit rien de plus présent dans l'esprit que

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