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1,109-no. CDLXVIII. — I er Février 1647. 60$

croyable que lame ait efté mife dans le corps, finon lors qu'il a efté bien difpofé, & que, lors qu'il eft ainfi bien difpofé, cela nous donne naturellement de la ioye. le dis auffi que l'amour eft venue après, à caufe 5 que, la matière de noftre corps s écoulant fans ceffe, ainfi que l'eau d'vne riuiere, & eftant befoin qu'il en reuienne d'autre en fa place, il n'eft gueres vray-fem- blable que le corps ait efté bien difpofé, qu'il n'y ait eu auffi proche de luy quelque matière fort propre à

10 luy feruir d'aliment, & que l'âme, fe ioignant de vo- lonté à cette nouuelle matière, a eu pour elle de l'amour ; comme auffi, par après, s'il eft arriué que cet aliment ait manqué, lame en a eu de la trifteffe. Et s'il en eft venu d'autre en fa place, qui n'ait pas

1 5 efté propre à nourrir le ! corps, elle a eu pour luy de la haine.

Voila les quatre paffions que ie croy auoir efté en nous les premières, & les feules que nous auons eues auant noftre naiflance; & ie erov aufli qu'elles n'ont

20 efté alors que des fentimens ou des penfées fort con- fufes ; pource que l'ame eftoit tellement attachée à la matière, qu'elle ne pouuoit encore vaquer à autre chofe qu'à en receuoir les diuerfes impreflions; & bien que, quelques années après, elle ait commencé

25 à auoir d'autres ioyes & d'autres amours, que celles qui ne dépendent que de la bonne conftitution & con- uenable nourriture du corps, toutesfois, ce qu'il y a eu d'intelle&uel en fes ioyes ou amours, a toufiours efté accompagné des premiers fentimens qu'elle en

5o auoit eus, & mefme auffi des mouuemens ou fondions naturelles qui eftoient alors dans le corps : en forte

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