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Principes. — Première Partie. ^9

qu'elles exiftoient au dehors, & ne leur a pas attribué | feulement 55 les grandeurs, les figures, les mouuemens, & les autres /^ro/?r/c'/c'^ qui appartiennent véritablement au corps, & qu'elle conceuoit fort bien ou comme des choies ou comme les dépendances de quelques chofes, mais encore les couleurs, les odeurs, & toutes les autres idées de ce genre qu'elle apperceuoit auffi à leur occafion. Et comme elle elloit fi fort offufquéedu corps, qu'elle ne confideroit les autres chofes qu'autant qu'elles feruoient à fon vfage, elle jugeoit qu'il y auoit plus ou moins de realité en chaque objet, félon que les im- preflions qu'il caufoit luy fembloient plus ou moins fortes. De là vient qu'elle a creu qu'il y auoit beaucoup plus de fubflance ou de corps dans les pierres & dans les métaux que dans l'air ou dans l'eau, parce qu'elle y fentoit plus de dureté & de pefanteur; & qu'elle n'a confideré l'air non plus que rien, lorfqu'il n'elloit agité d'aucun vent & qu'il ne luy fembloit ni chaud ni froid. Et pource que les eltoiles ne luy faifoient gueres plus fentir de lumière que des chandelles allumées, elle n'imaginoit pas que chafque eltoile fuft plus grande que la flamme qui paroift au bout d'vne chandelle qui brufle. Et pource qu'elle ne confideroit pas encore fi la terre peut tourner fur fon eflieu, & fi fa fuperficie eit courbée comme celle d'vne | boule, elle a jugé d'abord qu'elle efi immobile, & que 56 fa fuperficie eft plate. Et nous auons efté par ce moyen fi fort préuenus de mille autres préjugez, que, lors me/me que nous eflions capables de bien vjer de nofire raifon, nous les auons receus en nojlre créance; & au lieu de penfer que nous auions fait ces jugemens en vn temps que nous n'eftions pas capables de bien juger, & par confequent qu'ils pouuoient ejîre plujlq/l faux que vrais, nous les auons receus pour aujfi certains que fi nous en auions eu vne connoiffance dijlinâe par l'entremife de nos fens, & n'en auons non plus douté que s'ils eufient cité des notions communes.

72. Que la féconde ejl que nous ne pouuons oublier ces préjuge^.

Enfin lors que nous auons atteint l'r/age entier de nojlre raifon, &i que noftre ame, n'eftant plus fi fujette au corps, tafche à bien Juger des chojes & à connoiftre leur nature; bien que nous remarquions que les jugemens que nous auons faits lors que nous ellions entans font pleins d'erreur, nous auons aflez de peine à nous en déliurer entièrement : & neantmoins il ejl certain que, Ji nous manquons à

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