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Œuvres de Descartes.

quelque autre choſe pour moy, & ainſi de ne me point méprendre dans cette connoiſſance, que ie ſoutiens eſtre plus certaine & plus euidente que toutes celles que i'ay euës auparauant.

C'eſt pourquoy ie conſidereray derechef ce que ie croyois eſtre auant que i'entraſſe dans ces dernieres penſées ; & de mes anciennes opinions ie retrancheray tout ce qui peut eſtre combatu par les raiſons que i'ay | tantoſt alleguées, en ſorte qu'il ne demeure preciſement rien que ce qui eſt entierement indubitable. Qu'eſt-ce donc que i'ay creu eſtre cy-deuant ? Sans difficulté, i'ay penſé que i'eſtois vn homme. Mais qu'eſt-ce qu'vn homme ? Diray-ie que c'eſt vn animal raiſonnable ? Non certes : car il faudroit par après rechercher ce que c'eſt qu'animal, & ce que c'eſt que raiſonnable, & ainſi d'vne ſeule queſtion nous tomberions inſenſiblement en vne infinité d'autres plus difficiles & embaraſſées, & ie ne voudrois pas abuſer du peu de temps & de loiſir qui me reſte, en l'employant à démeſler de ſemblables ſubtilitez. Mais le m'arreſteray pluſtoſt à conſiderer icy les penſées qui naiſſoient cy-deuant d'elles-meſmes en mon eſprit, | & qui ne m'eſtoient inſpirées que de ma ſeule nature, lorſque ie m'apliquois à la conſideration de mon eſtre. Ie me conſiderois, premierement, comme ayant vn viſage, des mains, des bras, & toute cette machine compoſée d'os & de chair, telle qu'elle paroiſt en vn cadavre, laquelle ie deſignois par le nom de corps. Ie conſiderois, outre cela, que ie me nouriſſois, que ie marchois, que ie ſentois & que ie penſois, & ie raportois toutes ces actions à l'ame ; mais ie ne m'arreſtois point à penſer ce que c'eſtoit que cette ame, ou bien, ſi ie m'y arreſtois, i'imaginois qu'elle eſtoit quelque choſe extremement rare & ſubtile, comme vn vent, vne flame ou vn air tres-delié, qui eſtoit inſinué & répandu dans mes plus groſſieres parties. Pour ce qui eſtoit du corps, ie ne doutois nullement de ſa nature ; car | ie penſois la connoiſtre fort diſtinctement, &, ſi ie l'euſſe voulu expliquer ſuiuant les notions que i'en auois, ie l'euſſe décrite en cette ſorte : Par le corps, i'entens tout ce qui peut eſtre terminé par quelque figure ; qui peut eſtre compris en quelque lieu, & remplir vn eſpace en telle ſorte que tout autre corps en ſoit exclus ; qui peut eſtre ſenty, ou par l'attouchement, ou par la veuë, ou par l'ouye, ou par le gouſt, ou par l'odorat ; qui peut eſtre meu en pluſieurs façons, non par luy-meſme, mais par quelque choſe d'étranger duquel il ſoit touché & dont il reçoiue l'impreſſion. Car d'auoir en ſoy la puiſſance de ſe mouuoir, de ſentir & de penſer, ie ne croyois aucunement que l'on deuſt attribuer ces auantages à la nature corporelle ; au contraire, ie m'eſtonnois plu-