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Meditations. — Seconde.

toſt de voir que de ſemblables facultez ſe rencontroient en certains corps.

Mais moy, qui ſuis-ie, maintenant que ie ſupoſe qu'il y a quelqu'vn qui eſt extremement puiſſant &, ſi ie l'oſe dire, malicieux & ruſé, qui employe toutes ſes forces & toute ſon induſtrie à me tromper ? Puis-ie m'aſſurer d'auoir la moindre de toutes les choſes que i'ay attribué cy-deſſus à la nature corporelle ? | Ie m'areſte à y penſer auec attention, ie paſſe & repaſſe toutes ces choſes en mon eſprit, & ie n'en rencontre aucune que ie puiſſe dire eſtre en moy. Il n'eſt pas beſoin que ie m'arreſte à les denombrer. Paſſons donc aux attributs de l'Ame, & voyons s'il y en a quelques-vns qui ſoient en moy. Les premiers ſont de me nourir & de marcher ; mais s'il eſt vray que ie n'ay point de | corps, il eſt vray auſſi que ie ne puis marcher ny me nourir. Vn autre eſt de ſentir ; mais on ne peut auſſi ſentir ſans le corps : outre que i'ay penſé ſentir autrefois pluſieurs choſes pendant le ſommeil, que i'ay reconnu à mon reueil n'auoir point en effet ſenties. Vn autre eſt de penſer ; & ie trouue icy que la penſée eſt vn attribut qui m'appartient : elle ſeule ne peut eſtre détachée de moy. Ie ſuis, i'exiſte : cela eſt certain ; mais combien de temps ? A ſçauoir, autant de temps que ie penſe ; car peut-eſtre ſe pouroit-il faire, ſi ie ceſſois de penſer, que ie ceſſerois en meſme temps d'eſtre ou d'exiſter. Ie n'admets maintenant rien qui ne ſoit neceſſairement vray : ie ne ſuis donc, preciſement parlant, qu'vne choſe qui penſe, c'eſt à dire vn eſprit, vn entendement ou vne raiſon, qui ſont des termes dont la ſignification m'eſtoit auparauant inconnue. Or ie ſuis vne choſe vraye, & vrayment exiſtante ; mais quelle choſe ? Ie l'ay dit : vne choſe qui penſe. Et quoy dauantage ? I'exciteray encore mon imagination, pour chercher ſi ie ne ſuis point quelque choſe de plus. Ie ne ſuis point cet aſſemblage de membres, que l'on appelle le corps humain ; ie ne ſuis point vn air delié & penetrant, répandu dans tous ces membres ; ie ne ſuis point vn vent, vn ſouffle, vne vapeur, ny rien de tout ce que ie puis feindre & imaginer, puiſque i'ay ſupoſé que tout cela n'eſtoit rien, & que, ſans changer cette ſupoſition, ie trouue que ie ne laiſſe pas d'eſtre certain que ie ſuis quelque choſe.

Mais auſſi peut-il arriuer que ces meſmes choſes, | que ie ſuppoſe n'eſtre point, parce qu'elles me ſont inconnuës, ne ſont point en effect differentes de moy, que ie connois ? Ie n'en ſçay rien ; ie ne diſpute pas maintenant de cela, ie ne puis donner mon iugement que des choſes qui me ſont connues : i'ay reconnu que i'eſtois, & ie cherche quel ie ſuis, moy que i'ay reconnu eſtre. Or il eſt tres--