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492 Correspondance.

» trés-abondantes, n'avoient rien diminué de l'ardeur de la fièvre. Le » malade le remit sur des discours de la mort, comme il avoit fait la nuit » précédente; et persuadé de plus en plus de l'inutilité de toutes sortes de » remèdes, il souhaita qu'on Ht chercher le Père Viogué, le directeur de sa » conscience, et pria qu'on ne l'entretint plus que de la miséricorde de » Dieu, et du courage avec lequel il devoit souffrir la séparation de son » ame. Il attendrit et édifia, par le peu de réflexions qu'il fit sur son état et » sur celuy de l'autre vie, toute la famille de M. l'Ambassadeur, qui s'étoit » assemblée autour de son lit: et après avoir renouvelle au milieu de tant » de témoins, les sentimens de reconnoissance qu'il avoit pour l'amitié et » pour toutes les bontez de M. Chanut, il se tourna vers Madame sa » femme, pour luy marquer l'étonnement où il avoit été, depuis son » arrivée en Suéde, et la confusion où il étoit encore, de la voir toujours » si zélée à prévenir tous ses besoins [en marge : Lettr. MS. de Chanut à » Picot du II Février i65o]. Aussi n'y avoit il point de soins, point de » civilitez, point d'honneurs, point de bons offices et de témoignages » d'affection qu'elle ne luy eût rendu par elle même et par les siens; et » depuis sa maladie, elle avoit voulu vacquer à tout par sa présence, le » servir elle-même avec assiduité, le soigner même durant les nuits avec » une tendresse et une vigilance toute semblable à celle qu'elle avoit » apportée auprès de M. l'Ambassadeur son mary pendant sa maladie. » <( L'après midy du huitième jour [en marge : Weulles epist. ad. G. Pi- » son, etc. Lettre de Chanut à Picot, etc.], six heures après la seconde » saignée, il s'éleva un sanglot, qui ne luy laissa plus qu'une respiration » entre-coupée jusqu'au lendemain : il ne crachoit plus qu'avec difficulté, » et les flegmes qu'il tiroit de sa poitrine n'ètoient qu'un sang noirâtre et » corrompu. Ce qui fit juger à quelques uns des Médecins, que la Reine » envoyoit avec M. Weulles, que son mal étoit une pleurésie causée par » l'excès du froid, qu'il avoit senti les matins, sortant de son poësle pour » aller au Palais, dans les heures où le repos et la chaleur du lit auroient » été nécessaires à son corps, suivant la manière dont il l'avoit gouverné » en Hollande. Sur le soir il demanda qu'on luy fit infuser du tabac dans » du vin pour se procurer un vomissement. M. Weulles jugea que le » rémede auroit été mortel à tout homme en pareil état, dont la maladie » n'auroit pas été désespérée, mais que dorénavant l'on pouvoit tout » permettre à M. Descartes; après quoy il abandonna entièrement son » malade. Le tempérament que l'on prit fut de tremper le vin de beaucoup » d'eau, et de jeiter dans le verre un morceau de tabac que l'on retira sur » le champ sans le faire infuser, parce qu'on crud que c'étoit assez qu'il » y laissât son odeur. La nuit suivante [en marge: Lettr. de M. Chanut à » la Princesse Elizabeth, du i6 Avril i65o], il entretint M. l'Ambassa- » deur de sentimens de Religion, et luy marqua en termes également i> généreux et touchans la résolution où il étoit de mourir pour obéir à » Dieu, espérant qu'il agréeroit le sacrifice volontaire qu'il luy offroit » pour l'expiation de toutes les fautes de sa vie. Cependant le Père Vio-

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