Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/29

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mens comme poſſibles qui ne le ſont point ; et que meſme les hiſtoires les plus fideles, ſi elles ne changent ny n’augmentent la valeur des choſes, pour les rendre plus dignes d’eſtre leuës, au moins en omettent elles preſque touſiours les plus baſſes & moins illuſtres circonſtances : d’où vient que le reſte ne paroiſt pas tel qu’il eſt, & que ceux qui reglent leurs meurs par les exemples qu’ils en tirent, ſont ſuiets a tomber dans les extrauagances des Paladins de nos romans, & a conceuoir des deſſeins qui paſſent leurs forces.

I’eſtimois fort l’Eloquence, & i’eſtois amoureux de la Poëſie ; mais ie penſois que l’vne & l’autre eſtoient des dons de l’eſprit, plutoſt que des fruits de l’eſtude. Ceux qui ont le raiſonnement le plus fort, & qui digerent le mieux leurs penſées, affin de les rendre claires & intelligibles, peuuent touſiours le mieux perſuader ce qu’ils propoſent, encore qu’ils ne parlaſſent que bas Breton, & qu’ils n’euſſent iamais apris de Rhetorique. Et ceux qui ont les inuentions les plus agreables, & qui les ſçauent exprimer auec le plus d’ornement & de douceur, ne lairroient pas d’eſtre les meilleurs Poëtes, encore que l’art Poëtique leur fuſt inconnu.

Ie me plaiſois ſurtout aux Mathematiques, a cauſe de la certitude & de l’euidence de leurs raiſons ; mais ie ne remarquois point encore leur vray vſage, & penſant qu’elles ne ſeruoient qu’aux Arts Mechaniques, ie m’eſtonnois de ce que, leurs fondemens eſtans ſi fermes & ſi ſolides, on n’auoit rien baſti deſſus de plus releué. Comme, au contraire, ie comparois les eſcris des anciens payens, qui traitent des meurs, a des palais