Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/131

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allons voir Bérulle et Descartes en présence, et l’intervention du fondateur de l’Oratoire fut peut-être décisive dans la vie du philosophe.

Ce fut à une conférence chez le nonce du Pape, Guidi di Bagno ; on l’appelait en France le cardinal de Baigné[1]. Un sieur de Chandoux (qui devait mal finir : compromis plus tard dans une affaire de fausse monnaie, il fut condamné à la potence[2]) exposa des idées nouvelles et fit impression sur les auditeurs, sauf toutefois un d’eux, qui était justement Descartes. Bérulle s’en aperçut, et invita notre philosophe à prendre la parole : celui-ci s’inclina, et avec une aisance dont tout le monde demeura surpris, il défit complètement son adversaire. Il prétendit prouver, par le même nombre de preuves, exactement le contraire, et le prouva. Le cardinal de Bérulle comprit aussitôt qu’il avait devant lui, non pas seulement un novateur, mais un réformateur véritable ; il l’entreprit donc et lui fit une obligation de conscience de consacrer désormais sa vie à la réforme

  1. Guidi di Bagno fut nonce du pape à Paris en 1627 : cardinal réservé in petto, 30 août 1627 ; proclamé, 19 nov. 1629.
  2. Baillet parle ainsi du sieur de Chandoux : « L’oſtentation avec laquelle nous avons vû qu’il produiſoit ſes nouveautez, ne ſe termina qu’à des fumées ; & l’événement de ſa fortune ne ſervit pas peu pour juſtifier le jugement que M. Deſcartes avoit fait de ſa philoſophie. Chandoux, depuis la fameuſe journée où il avoit diſcouru | avec tant d’éclat devant le Cardinal de Bérulle, le Nonce de Bagne, & pluſieurs Sçavans, s’étoit jetté dans les exercices de la Chymie, mais d’une Chymie qui par l’altération & la falſification des métaux tendoit à mettre le deſordre dans le commerce de la vie. La France étoit alors remplie de gens qui avoient voulu profiter des troubles du Royaume, pour ruiner la police des loix qui regardoient la fabrique & l’uſage des monnoyes ; & l’impunité y avoit introduit une licence qui alloit à la ruine de l’Etat. Le Roy Loüis XIII, pour la réprimer, fut obligé d’établir dans l’Arſenal à Paris une chambre ſouveraine, qui fut appellée Chambre de Juſtice, par des Lettres patentes données à S. Germain, le 14 de Juin 1631. [Merc. Fr. ad. ann. 1631, p. 113.] Chandoux [en marge : Clersel. Rel.] y fut accuſé & convaincu d’avoir fait de la fauſſe monnoye avec pluſieurs autres, & il fut condamné à être pendu en Grève. » (Baillet, t. I, p. 230-231.)