Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tait ici le devoir comme un commandement de Dieu : l’homme n’avait qu’à obéir. Mais se soumettra-t-il encore à cette même règle, si on la conserve dépouillée de toute consécration théologique, et si on n’allègue que des raisons physiques en sa faveur"? Des considérations en quelque sorte mathématiques de partie et de tout, où la partie est moindre que le tout et ne le vaut pas, suffiront-elles désormais à la volonté pour se décider? A quoi l’on peut répondre, que les termes de tout et de partie ne sont que la forme extérieure d’une vérité profonde; et une fois de plus, le philosophe invoque la réalité que nous sentons en nous : notre nature humaine, c’est-à-dire cette union d’une âme et d’un corps, est ainsi faite que nos passions, ou nos douleurs et nos joies les plus vives, se trouvent attachées à des actions qui ont précisément pour objet ces autres nous-mêmes, avec qui nous ne faisons qu’un tout, duquel même souvent nous nous estimons la moindre partie. Notre bonheur ou notre malheur dépend de cette réalité ; et dès lors doit cesser toute hésitation. C’est là encore une vérité d’expérience, irréfutable comme indémontrable, mais qui n’a pas besoin non plus d’être démontrée, puisqu’elle est connue en elle-même, par intuition, et que nous en avons tous une notion primitive.

Descartes est ainsi amené, par les objections d’Elisabeth, à expliquer de plus en plus sa pensée. Son petit traité des Passions de l’âme n’a pas d’autre origine. L’aurait-il écrit de lui-même ? On ne saurait dire. Mais ce fut pour répondre à une question d’Elisabeth, qu’il se mit à définir et à dénombrer les passions. Cette étude préalable, d’ailleurs, n’était pas moins nécessaire à la morale, que celle des perceptions de nos sens ne l’avait été à la physique. Nous avons vu que la grande erreur dans les sciences était de prendre le chaud et le froid, le pesant et le léger, le dur et le mou, la lumière, le son, les odeurs, les saveurs, etc., qui ne sont que des senti-

a. Tome IV, p. 3o3, 1. 5-i6 ; p. 3o8-3oq ; p. 3.i6-3i7, et p. 324, 1. 7-18.

b. Ibid., p. 289, 1. 25; p. 309. 1. 27. et p. 3i3, 1. 14-18.