Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/131

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allé disner en la ville chez un de ses voisins, comme la coustume ha tousjours esté en ces cartiers là de manger les uns avec les aultres et de porter son disner et son soupper, tellement que l'hoste n'est point foullé[1], sinon qu'il met la nappe. La Roche Thomas, qui pour lors estoit sans femme, avoit faict mettre pour son disner seulement un poullet rosty, que sa chambriere luy apporta entre deux platz. A laquelle il dit tout joyeusement : « Qu'est ce que tu m'afferes[2] là, Pedisseque ? » Elle luy respondit : « Monsieur, c'est un poullet. » Luy qui vouloit estre veu magnificque, ne trouve pas cette responce bonne, et la note jusques à tant qu'il fut retourné en sa maison, qu'il appella sa chambriere tout fascheusement pedisseque. Laquelle entendit bien à l'accent de son maistre, qu'elle auroit quelque leçon. Et va incontinent querir son truchement pour assister à la lecture, et luy sçavoir rapporter ce que son maistre luy diroit. Car il tensoit[3] bien souvent en latin et tout. Quand elle fut comparue, La Roche Thomas luy va dire : « Viença, gros animal brutal, idiotte, inepte[4], insulse[5], nugigerule[6], imperrite[7] ! » et tous les mots du Donat[8]. « Quand je disne à la ville et que je te demande ce que c'est que tu m'afferes, qui t'ha monstré à respondre un poullet. Parle, parle une aultre foys en plurier nombre, grosse quadrupede, parle en plurier nombre. Un poullet voylà un beau disner d'un tel homme que La Roche Thomas. » La pedisseque n'avoit jamais esté desjeunee[9] de ce mot plurier nombre. Parquoy elle se le fit explicquer au clerc, qui luy dit : « Sçaiz tu que c'est ? Il est marry qu'aujoud'huy, en luy

  1. Mis à contribution, obéré d'un impôt.
  2. Afferer, du latin afferre, apporter.
  3. Grondait, réprimandait, querellait.
  4. Ce passage nous apprend que ces deux mots, empruntés au latin, n'étaient pas encore admis dans la langue française.
  5. Impertinente, insulsa.
  6. Sotte, nugigerula.
  7. Ignorante, imperita.
  8. La grammaire latine de Donat était la seule en usage dans toutes les Universités. On donnait au livre même le nom de son auteur, Ælius Donatus, en français Donat, grammairien du quatrième siècle.
  9. Nourrie, servie.