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Page:Desportes - Madame Desbordes-Valmore, 1859.pdf/4

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bordes-Valmore s’est peu modifiée par le cours des ans. Ses belles qualités natives lui sont restées jusqu’à la fin, et ses défauts, inhérents pour la plupart à ses qualités, ont survécu comme elles. Il faut dire toutefois que dans les derniers chants du poète, les beautés, fruits d’une nature plus mûre, plus réfléchie, plus achevée, sont tout-à-fait dominantes et souveraines, et que, dans ce voisinage éclatant, les taches passent presque inaperçues. Elles y sont pourtant. Çà et là des incorrections, des tons heurtés et, souvent, des métaphores outrées, qui veulent trop dire et sous lesquelles le sens se dérobe. Les figures des Orientaux, a-t-on dit, sont folles ; celles des Grecs et des Romains sont hardies ; les nôtres sont simplement justes. Ce mérite de justesse manque en général aux métaphores de madame Valmore ; mais nous ne voudrions pas trop insister sur ce point. Un critique éminent qui a le droit de se montrer difficile, esprit pénétrant, délicat et fin, M. Sainte-Beuve, en des pages charmantes consacrées à madame Desbordes-Valmore, a parlé ainsi de ses métaphores. « Les métaphores elles-mêmes, les images prolongées qui ne sont en jeu que pour traduire une pensée ou une émotion, n’ont pas toujours besoin d’une rigueur, d’une analogie continue, qui, en les rendant plus irréprochables aux yeux, les roidit, les matérialise trop, les dépayse de l’esprit où elles sont nées et auquel, en définitive, elles s’adressent ; l’esprit souvent se complaît mieux à les entendre à demi-mot, à les combler dans leurs négligences ; il y met du sien, il les achève. »

Une digne sœur en poésie de madame Valmore, madame Tastu a dit : « Qu’importe que Madame Desbordes-Valmbre ne soit pas un poète selon l’art, si c’est la poésie et l’âme. » Voilà les mots caractéristiques : Madame Desbordes-Valmore, c’est la poésie et l’âme. Pour être un poète selon l’art, il lui eût fallu pâlir dans l’étude assidue des grands modèles, épurer par un travail patient ses heureux dons du ciel. Elle ne l’a pas fait. Elle avait bien mieux que l’art, elle, la poésie et l’âme : elle avait la flamme, le souffle puissant, mens divinior, la veine intarissable, la source immense et profonde, tout ce qui vit et qui fait vivre. Pendant de longues années elle a chanté sur les modes les plus douloureux, touché aux cordes les plus plaintives de la lyre, et elle a échappé à la monotonie. Il n’y a pas d’exemple d’un tel privilège ou d’un tel bonheur. Toujours elle gémit et pleure, parce que la plaie est incurable et toujours saigne, et toujours elle vous touche et vous remue. Elle nous disait un jour en parlant d’André Chénier : « c’est une poésie de frère, elle vous prend la main. » Ainsi de sa poésie à elle, c’est une poésie fraternelle, sympathique, qui va à votre cœur, parce qu’elle sort du cœur du poète. Notons, puisque nous venons de nommer André Chénier, qu’on a appelé madame Desbordes-Valmore