chevet de madame A. Dupui qui se mourait ; près du lit madame Récamier, alors aveugle, M. Ballanche et celui qui écrit ces lignes. Madame Valmore, prenant congé, se leva disant au revoir et allait sortir, quand la pauvre malade, la rappelant, lui dit : « Nous ne nous reverrons plus ici-bas : faites-moi de plus longs adieux. — Nous nous reverrons encore ici, je l’espère, répondit madame Valmore ; mais après tout, si ce n’est plus ici que nous devions nous revoir, nous nous retrouverons là-haut, et nous y serons plus heureuses qu’ici où vous et moi avons tant souffert. Et sur ces mots sa voix s’éleva et, l’émotion survenant, elle fut admirablement éloquente et parla en termes magnifiques de
ce monde invisible
Ou pour toujours nous nous réunissons ;
Dallanche, le penseur mystique et de génie, l’hiérophante antique égaré au milieụ du dix-neuvième siècle, était profondément ému ; madame Récamier, attendrie, essuyait ses yeux où n’était plus la lumière, et nous conserverons, nous, un ineffaçable souvenir de ce moment. Heureux qui, à l’heure du suprême départ, trouve à son chevet une voix aussi douce, aussi consolante pour l’aider à mourir !
Madame Desbordes-Valmore est restée pauvre. Plus d’une fois dans sa vie elle eut l’occasion de s’affranchir des soucis d’une position difficile ; mais toujours quelque noble scrupule l’arrêta. Un jour, on lui offrit la place de lectrice de madame la duchesse d’Orléans. La bonté de la princesse Hélène eût rendu cet emploi doux et léger au poète. Madame Valmore refusa. La plupart de ses amis étaient dans les rangs opposés à la politique que suivait alors le roi Louis-Philippe. Il lui sembla qu’en entrant aux Tuileries elle se séparerait d’eux. Ce sacrifice coûtait trop à son cœur. Ce n’est pas madame Valmore qui, pour une position meilleure et même très brillante, eût jamais abandonné ses amis, elle qui les aimait d’autant plus, les accueillait d’autant mieux qu’ils étaient plus oubliés de la faveur et de la fortune. Elle préféra rester pauvre, dans ce res angusta domi qui avait été la condition de toute sa vie, dont elle ne s’effrayait plus, et dont elle ne s’était jamais préoccupée que pour les siens. Dans ces dernières années le sort, qui lui avait été si longtemps sévère, semblait s’être adouci, et malgré un peu de gêne domestique qui subsistait toujours, madame Desbordes-Valmore pouvait se dire heureuse. Avec ce sentiment si doux des devoirs remplis qui efface tant de peines, elle avait toutes les satisfactions du cœur, comme épousé et comme mère ; née généreuse et sans envie, elle jouissait des succès de ses amis comme des siens ; de flatteurs hommages venaient la trouver dans sa calme retraite ; elle avait sa douce liberté, et la gloire s’était assise à son foyer. Ce bonheur modeste, muré, qui n’emprunte rien au dehors, est mal compris du monde, qui aime avant tout le mouvement et le bruit,