et nous avons entendu bien des gens, indifferents au fond, s’apitoyer longuement sur la pauvreté du charmant poète. Qu’ils gardent leur pitié pour des malheurs plus grands. Bien souvent la pauvreté est acceptée sans trop de peine ; quelquefois même c’est un sort qu’on s’est courageusement choisi pour rester dans le parti de l’honneur et de la vertu. Des âmes fières, nobles et délicates, sachant que dans la poursuite de la fortune il faudra immoler son indépendance, ses goûts, ses plus saintes aspirations, ses sentiments les plus chers, étouffer son esprit et briser son cœur, estiment que le prix n’est pas digne du sacrifice, et elles se tiennent à l’écart, loin des routes de la fortune, routes encombrées d’où tant d’autres reviennent souillés et meurtris. Rien qu’à voir ce spectacle, ces tristes luttes, elles se trouvent heureuses, par comparaison. Laissons dire la foule imbécile : l’honnête pauvreté n’est pas si déshéritée qu’on le croit.
Nous sommes sans autorité pour dire quelle place doit occuper madame Desbordes-Valmore dans les rangs des poètes de ce temps-ci ; mais, dans notre pensée, cette place est fort belle. Un jour Béranger essayait de fixer cette place de madame Valmore et il n’y réussissait pas. Dans ce ciel poétique où la mort allait bientôt la faire monter et où il l’a précédée lui-même, il ne trouvait pas d’étoile qui lui ressemblât, rayonnant là-haut comme une sœur, et il ne voyait pas non plus à l’horizon se lever d’astre nouveau qui promît une lumière à la fois aussi douce, aussi brillante, aussi tendrement mélancolique. Madame Valmore, en effet, par la profondeur et la vivacité du sentiment, par la nouveauté de la langue et du style s’est classée à part et se dérobe, pour ainsi dire, à toute comparaison. Béranger disait qu’elle ne serait pas remplacée. Plusieurs fois il revint avec nous sur ce sujet, et toujours il se résuma dans ces mots : « Elle ne sera pas remplacée. »
Nous pourrions nous arrêter ici ; mais il s’agit d’une femme et l’on attend peut-être quelques lignes de plus. Madame Desbordes-Valmore était-elle jolie, était-elle belle ? Voici ce qu’elle dit elle-même : « … Ma mère était belle comme une Vierge ; on espérait que je lui ressemblerais tout-à-fait, mais je ne lui ai ressemblé qu’un peu, et si l’on m’a aimée c’était pour autre chose qu’une grande beauté. » C’était une de ces figures qu’on n’oublie point : un profil d’une grande pureté, des yeux bleus, de beaux cheveux blonds ; quelque chose des races du Nord, des nobles filles de l’Écosse et du ciel d’Ossian. Dieu avait mis sur son front le sceau visible du génie poétique et toutes les tristesses de l’âme. Son regard était doux et bon, sa voix ravissante. Dans son langage, dans son air, dans ses manières, une rare et constante distinction. Elle était frêle, pâle, semblait souffrante, et nous n’avons connu personne à qui l’on pût appliquer plus justement qu’à elle ces mots de madame Victorine de Chastenay : « Elle avait l’air d’une âme qui avait rencontré par hasard un corps et qui s’en tirait