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  LIVRE I. 3



VIII.


Si la foy plus certaine en une ame non feinte,
Un desir temeraire, un doux languissement,
Une erreur variable, & sentir vivement,
Avec peur d’en guarir, une profonde atteinte.

Si voir une pensee au front toute depeinte,
Une voix empeschee, un morne estonnement,
De honte ou de frayeur naissant soudainement,
Une palle couleur de lis & d’amour teinte :

Bref, si se mespriser pour une autre adorer,
Si verser mille pleurs, si tousjours soupirer,
Faisant de sa douleur nourriture et bruvage.

Si, loin estre de flamme, & de pres tout transi,
Sont cause que je meurs par defaut de merci,
L’offense en est sur vous, & sur moy le dommage.


IX.


Dés le jour que mon ame, amoureuse insensee,
Se rendant à vos yeux les fist Roys de mon cœur,
Il n’y a cruauté de barbare vaincueur,
Qu’Amour n’ait dedans moy fierement exercee.

Las ! je tire mon feu d’une roche glacee,
Qui n’a ny sentiment, ny pitié, ny rigueur :
Elle ignore sa force & ma triste langueur,
Et du mal qu’elle fait n’a soucy ny pensee.

Elle est toute de marbre, aucun trait ne la poingt,
Elle verse la flamme & ne s’echauffe point,
Et n’ayant point d’amour elle en peuple la terre.

Ô Beauté, dont les traits sont si victorieux,
Apprenez par ma mort les efforts de vos yeux,
Et voyez desormais à qui vous faites guerre !