Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/122

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de lui-même où ils auraient pu germer. Je ne pouvais pas saisir, exciter, violenter son attention malgré mon insistance. Autant aurait valu jeter de l’eau sur une toile imperméable.

Mais un jour tout changea. Le gouvernement l’avait envoyé à Alfred, une petite ville de l’est de l’Ontario, pour conduire des travaux d’arpentage. Il devait mesurer une tourbière qui s’étendait à perte de vue. C’était un endroit comme il les aimait. Le printemps et l’été, sur cette plaine unie, monotone et plate, il ne poussait jusqu’au bout de l’horizon qu’une herbe courte et verte et de rares arbustes rabougris. En automne il n’y avait plus qu’une surface jaune de paille, semblable à du chaume, et l’hiver, le suaire épais et blanc des neiges ne formait pas un pli. Du côté de l’est, comme pour border ce lac désolé, de douces collines bleuâtres se levaient ainsi que des falaises de rivage.

Jean Desbois éprouvait un plaisir continuel à contempler ce marais inculte et mort entre les forêts vivaces, ce bas-fond immense aux terres noires et molles entrecoupées quelquefois de fossés où stagnait une eau jaune de purin. Rien ne bornait la vue. Les gros soleils rouges se couchaient dans les vapeurs.