Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/109

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du fort toutes les décisions qui ne plaisaient point aux engagés ; il attribuait à ses propres conseils et à son influence celles qu’ils aimaient. Il cultivait sa popularité aux dépens de l’autre. Pour s’attirer des clients, il intercédait auprès du chef, demandait une faveur, la mitigation d’une punition.

Une colère rentrée hante Nicolas Montour. Il se promène. Dans sa tête s’esquissent rapidement des projets de revanche. Mais non, il faut rester calme. Autrement, on est mauvais joueur. Passe dangereuse où il faut manœuvrer avec soin. Demain, il peut être rejeté au niveau d’où il est parti ; mais demain, aussi, il peut voir l’ouverture qu’il désire, la chance qu’il attend. Malheur à Lenfesté s’il ne se garde point. Sa haine, il la sent s’accumuler comme une bile qui gonfle à éclater une vésicule.

Mais un danger est là, prochain, dont il ne connaît pas encore exactement la forme…

Nicolas Montour se tient sur le qui-vive et ses hommes sont aux écoutes. Une tempête sévit. Le soir, le brigadier, sentant le besoin d’alliés, erre autour de Louison Turenne qui fend du bois. À mots très couverts, il lui offre de s’unir contre Lenfesté. Il tourne autour du pot, l’ouvre, le referme à demi, laisse entrevoir vaguement des récompenses. Turenne répond à chaque phrase selon sa valeur propre et non sa valeur cachée ; il ne donne pas le signal de la complicité, l’invitation à parler ouvertement. Et c’est le lendemain, seulement, se rendant à ses pièges, qu’il comprend soudain et que sa figure s’illumine d’un sourire. Faut-il que Montour soit dans un mauvais pétrin tout de même ?

La tempête ne se calme point : elle dure depuis deux nuits. Montour est inquiet et il ne peut dormir. Vers trois heures du matin, il se lève et il se rend à la guérite où il relève Prudent Malaterre de sa faction. Seul, il veille dans la nuit hurlante qui soulève des tourbillons de neige comme des bras informes sur les solitudes du Nord.

Enfin, le vent tombe. À peine l’aube diffuse-t-elle un peu de lumière sur le paysage qu’une clarté inouïe se lève de la

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