Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/116

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comme d’habitude. Que faire ? La retraite s’impose cette fois.

Pourquoi s’est-on laissé entraîner si loin ? Après trois longues étapes en toute hâte, la situation devient désespérée. Mal remis de leur jeûne prolongé, au fort, les engagés de Louis Cayen s’affaiblissent les premiers et retardent la marche. Les sauvages supportent mieux la famine ; mais, devant la longueur du chemin et la lenteur du retour, la panique s’empare aussi d’eux. Ils parlent d’abandonner à leur sort quelques femmes et quelques vieillards.

Montour saisit l’heure propice. Il se rend auprès de la Tête Hérissée. Il lui indiquera des caches de vivres sur la route du retour, mais à une condition : les Couteaux-Jaunes partiront, au milieu de la nuit prochaine, secrètement ; ils abandonneront à leur sort Louis Cayen et ses hommes. Et, afin de forcer la main au chef, Montour communique ses offres à quelques membres de la tribu.

Nécessité fait loi. Au matin, il n’y a plus que des Blancs dans le camp.

Louis Cayen, dont la marche est encore alourdie par les pelleteries achetées des Couteaux-Jaunes, reprend péniblement, avec ses engagés, la route des anciens bivacs. Ils grattent la neige pour trouver des restes de viande et d’entrailles gelées, des os encore pleins de leur moelle, des têtes restées intactes.

Et Montour suit en arrière, de près, sans se hâter. Ses hommes bien repus encadrent l’adversaire pendant le jour ; ils le précèdent pour tuer tout lièvre, toute gelinotte qui peut s’aventurer sur la route. La nuit, des sentinelles veillent. De la sorte, Montour maintient le même désert ambulant autour des Petits.

Cayen veut se dérober à cette solide étreinte. Il tente de partir la nuit, dans des tempêtes de neige ; il tente de fatiguer l’adversaire. Mais Montour veille. Rigide, dur, précis, il tient ses hommes sous l’influence de sa volonté. Il dort à peine. Toutes ses forces, il les emploie à garder ses rivaux au milieu de la famine. Aucune surprise ne peut maintenant brouiller

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