Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/142

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ques, timides, faciles à manier, faciles à manœuvrer, dociles et douces. Non, il a affaire maintenant aux tribus des plaines du centre américain qui vivent avec orgueil dans la liberté. Pour elles, trouver leur subsistance est un jeu : le bison, en troupeaux inépuisables, leur fournit la nourriture, le vêtement, le logement, le feu même. Chaque individu possède trente, cinquante chevaux, et sur leur selle faite d’une peau, sanguinaires, tous, ils chassent, ils écument les prairies, des grappes de scalps à leur ceinture. Ils défendent avec sauvagerie leur riche territoire illimité contre les tribus envieuses qui voudraient y descendre de tous les points de l’horizon. Pour la force, la cruauté, la richesse, les Iroquois n’étaient que des enfants à côté d’eux. Et les Blancs ne savent comment les dompter, car ces peuplades n’ont presque pas besoin d’eux.

Nicolas Montour a-t-il accepté une tâche qui le déborde ? Il les regarde arriver, puis partir, les hordes belliqueuses, aussi dangereuses à manier que la poudre. Désemparé, il ne sent plus qu’il est le maître de la situation. Son flegme, il le conserve à grand’peine. Et Montour s’en rend bien compte : le premier rôle, ce n’est plus lui qui le joue. Ses talents particuliers ne lui servent plus de rien. Et il a l’impression d’être monté en selle, par inadvertance, sur l’un de ces chevaux sauvages qui errent en liberté dans la steppe, qui ne connaissent ni le mors, ni les rênes.


Mais qu’ont-elles à échanger contre les marchandises du fort, ces tribus guerrières ? Nicolas Montour regarde tout ce qu’elles jettent sur les comptoirs. Lui qui sait évaluer, d’un coup d’œil, une peau de castor, d’hermine, de vison, de loutre ; lui dont les gros doigts aux ongles noirs aiment à caresser les fourrures riches, aux nuances moelleuses et fines, il ne trouve ici rien de précieux. Les jours s’écoulent, les bandes se succèdent, et, chaque soir, les commis n’ont à entasser dans les entrepôts que du loup, du blaireau, de l’ours, et surtout ces larges robes de bison dont les compagnies ne savent que faire.

Pourtant rivières, ruisseaux et lacs regorgent de castors qui

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