Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/144

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des clients qui n’apportent que de grosses fourrures lourdes, sans valeur, difficiles à transporter. Les traiteurs ne jouent serré qu’à propos de quelques bandes de Cris, Gens de Bois Forts, peu nombreux, mais qui chassent le castor au nord de la Saskatchewan.

Montour doit se rendre à l’évidence. Les négociations terminées, il se promène autour des bâtisses et tente de rajuster ses idées. Sous un appentis, il aperçoit de gros chaudrons de fer que la rouille a attaqués durant l’été. Et soudain, il comprend ; il se souvient de certaines paroles du bourgeoys auxquelles il n’avait pas attaché d’importance dans le temps. Oui… Oui…

Fort Vermillon est avant tout pour les compagnies un poste de provisions et non de fourrures. Naturellement, elles y récoltent tout ce qu’elles peuvent trouver de précieux. Mais enfin, leur objet principal, à cet endroit, c’est la fabrication du pemmican. Les prairies s’étendent à la porte ; l’hiver, on voit des troupeaux de bisons piocher la neige pour brouter. Par centaines, les engagés les tuent, font sécher la viande sur des boucans et fondre la graisse dans les chaudrons. Et l’été venu, des bacs construits sur place transportent cette victuaille à Fort Cumberland afin de ravitailler les brigades qui se rendent dans le district du fleuve Churchill, de l’Île à la Crosse, de Rabaska, ou en reviennent.

— Me voilà charcutier maintenant ! se dit Nicolas Montour avec amertume ; je me suis fourvoyé.

Et le désappointement l’envahit. Il comprend aujourd’hui indubitablement, la factorerie est située dans un territoire où ne règne aucune concurrence pour les pelleteries. En sollicitant d’en devenir le chef, Montour a-t-il sollicité, sans le savoir, un traquenard ? En l’obtenant, s’est-il enfermé dans l’insuccès comme dans une tour sans ouverture ?


— La femme cherchait du bois de bison ; elle s’est éloignée des tentes. La nuit venue, nous l’avons poursuivie et capturée.

Deux Cris racontent ainsi le rapt d’une femme de la nation

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