Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/32

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ront-ils contre nous les Bourgeoys si nous sommes tous unis ?

Montour étend une bâche, lentement ; puis il s’éloigne peu à peu de quelques pas et disparaît. Les voyageurs continuent à discuter le projet. Bientôt la pluie cesse ; Cournoyer survient et donne le signal du départ. Prêchant d’exemple, André Bombardier, les yeux sur les hommes, replie les toiles cirées bien qu’un crachin fuligineux arrose encore la terre.

Les bateliers hésitent. Parler, c’est bel et bien ; mais entre la parole et l’action, il y a une marge. Ils chuchotent, ils regardent de l’autre côté du petit lac le dernier portage à la Vase, une rainure terne ouverte dans la forêt.

L’hésitation dure.

Subitement, brisant la tension, des cris éclatent à l’arrière.

Au détour du sentier, surgissent une quinzaine d’hommes qui pataugent dans la vase du portage ; les uns portent les vivres, d’autres, le bagage, les derniers, un canot de maître orné de dessins noirs. Un personnage vêtu de pourpre, de taille moyenne, les dirige.

Un nom a circulé subitement de bouche en bouche : Simon McTavish, le Marquis, le Premier. Il se rend au Grand Portage dans son embarcation particulière. Il voyage en vitesse, mais le goût du faste ne l’abandonne pas. Une tente de soie rouge abrite ses nuits, des cuisiniers en livrée lui préparent ses repas : langues fumées, pâtés de faisan, queues de castor, jambons. Quand les cours d’eau sont tranquilles, il travaille, pendant que les hommes avironnent, sur une cassette disposée dans le milieu du canot.

Le guide de la brigade spéciale se précipite au-devant de lui.

— Mais que faites-vous, Cournoyer ? Vous devriez être en pleine marche à cette heure.

— Je n’ai que des novices : ils sont découragés : tout ce mauvais temps, toute cette boue…

— Découragés ?

— Ce ne sont que des paroles, je crois, quelques-uns parlaient de retourner à Montréal et de briser leur contrat.

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