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les opiniâtres

Ysabau tentait de conduire Pierre loin de ce pessimisme ; ni lui, ni elle n’empêcheraient ces faits pénibles. Alors elle lui parlait des temps encore proches qui avaient précédé leur départ de Saint-Malo.

— Comme vous êtes simples, vous, les hommes. Seulement qu’à t’apercevoir de loin, par exemple, je devinais que tu étais dépité, que tu avais décidé de briser. Insensiblement, en causant avec les autres, je m’approchais de toi. Je sentais tes regards qui, malgré eux, venaient se poser sur mes lèvres, mes yeux, toute ma figure. Tu ne pouvais t’en empêcher. Et soudain, je levais les yeux sur toi et je souriais. Tu étais tout de suite conquis. Devant ma beauté, ta résolution devenait malléable comme de la cire quand on l’approche du feu. Je disais : « Pierre de Rencontre, j’en fais ce que je veux. » Alors, je te rendais jaloux, de nouveau, à plaisir, en accordant mes attentions à d’autres jeunes garçons. Mais un jour, tu as décidé de partir et alors, non, ce n’était pas bien gai. À ce moment, tu as été plus fort que moi : tu es devenu un homme. Et je t’ai aimé.

Ysabau riait.

Le lendemain, Pierre se remit au travail. La longue inaction avait comprimé dans ses veines de l’impatience et de la fougue. Un réservoir de force débordait en lui. Pierre éprouvait le besoin de se saouler de tâches. Il devait tout remettre au point dans son défrichement, et alors il se plongea dans la fauchaison du repoussis. Il ne se rassasiait pas de labeur.

— Pierre, repose-toi, suppliait Ysabau.

Mais Pierre se mouvait maintenant dans son élément ; Ysabau constata vite que, ressaisi par son ardeur ancienne, il s’absorbait au point d’oublier l’avertissement de l’été, les périls du présent. Privées de réflexion, de méditation comme de leur sève indispensable, ses clairvoyances de