le bruit confus des mots. Parfois un silence et l’on entendait soit une réponse, soit une question du père Jogues.
— La nature se révolte, disait présentement celui-ci, mais il faut la mater.
Dans une couple de jours, le missionnaire partirait pour le pays des Agniers. Cette tribu iroquoise avait habité l’île de Montréal ; elle avait réduit en esclavage les tribus du fleuve. Puis les Algonquins l’avaient évincée. Ses bourgades palissadées menaçaient les frontières de la Nouvelle-France ; ses guerriers manifestaient dans l’attaque une cruauté et un acharnement particuliers. En 1642, elle avait capturé le père Jogues et l’avait torturé. Toujours en péril de mort, celui-ci avait ébauché une œuvre d’évangélisation ; toute espérance disparue, il s’était laissé sauver par les Hollandais. Anne d’Autriche avait pleuré sur ses mains mutilées.
— Mais vous-même, mon Père, reprenait respectueusement monsieur du Hérisson, conservez-vous des espérances sérieuses ?
— Nous devons compter avec la Providence, repartait le missionnaire sans se commettre.
Monsieur du Hérisson se leva peu après ; il vint jusqu’au fond de la pièce et aperçut Pierre.
— C’est plus facile d’envoyer un homme à la mort que de se préparer à la guerre, lui dit-il.
— Mais qu’en pense le Père lui-même ?
— Lui ? Ses supérieurs ont demandé. Alors il a répondu : « Oui ». Et voilà. Je le fréquente depuis deux ans, moi ; je sais ce qu’il pense des Agniers. Le père Jogues est un saint ? D’accord. Mais il est aussi doué d’une pénétration singulière. La plupart croient que des relations pacifiques sont possibles entre Iroquois et Français. Lui n’entretient pas cette illusion.
— Pourquoi lui commander ce sacrifice alors ?
— Tu ne comprends pas ? La Nouvelle-France est demeurée dans le même état qu’au moment