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les opiniâtres

la conduire avec audace, prudence et sagacité ? Jacques Hertel se gaussait :

— Le monde, mais il est composé d’affaires qui vont mal. Une affaire qui va bien, cela ne se conçoit pas.

Les auditeurs riaient. Mais Pierre se sentait peu d’humeur à plaisanter. Monsieur du Hérisson lui avait dit avec emphase :

— Non, non et non. N’entreprends pas de construire une maison. Attends au moins à l’automne prochain : le père Jogues nous aura envoyé quelque lettre.

Pierre quitta l’assemblée ; il descendit au fleuve. À quelques pieds des palissades régnait un silence absolu, si ce n’est le froissement imperceptible de l’eau. Le soleil baignait la vacuité immense du fleuve.

Soit fatigue de la conversation ou disparité des vues exprimées, Pierre se trouvait pour ainsi dire arraché à l’alvéole de son destin, de la routine ordinaire de ses jours et de ses pensées. Seule, la raison pure semblait vivre en lui. Pour la première fois peut-être, Pierre aborda vraiment aux terres du doute. Absorbé par son élan créateur, — bâtir, construire, édifier, — il n’avait jamais éprouvé le total désarroi présent. La Nouvelle-France ? Un hameau à Québec, deux postes palissadés, grains de poussière, bien plus, atomes, que ne réussissaient pas à distinguer, dans le lointain, les ministres et la cour occupés aux dernières complexités de la guerre d’Espagne et aux intrigues de la politique intérieure. Alors la colonie vivait sur des principes périmés : supériorité conférée aux Français par la possession exclusive des armes à feu ; défense d’armer les Sauvages alliés. Depuis sept ans, la réalité commandait de les modifier. L’inaction avait coûté cher. À partir de l’heure présente, elle devenait forfait. Et toute la Nouvelle-France et la France elle-