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les opiniâtres

Durant ces cinq années, Pierre n’avait pas travaillé à son défriché plus de quelques semaines : les Iroquois avaient brûlé son habitation et son bois de construction. Il avait adopté le métier de soldat. Le camp volant dont il faisait partie, circulait sur le fleuve en chaloupe, s’efforçait à protéger Ville-Marie, et tentait d’intercepter ou de détruire les insaisissables partis d’ennemis.

À son arrivée hier soir, Pierre avait constaté l’énervement de la population. À la longue, la répétition des massacres l’exaspérait. Mobile, persistante, entrevue chaque jour sous la futaie, une bande tendait autour du poste un filet lâche mais sûr ; durant la journée, elle avait porté l’impatience à son comble, en attaquant quatre Français à l’embouchure du Saint-Maurice : deux avaient été réservés pour la torture. L’impétuosité du sang bouillonnait.

Pierre avait parlé de cette irritation avec Pierre Boucher, un homme court, râblé, de sens rassis ; il se souvenait bien de la leçon de sang-froid que Jean Nicolet avait autrefois infligée à son humeur fougueuse.

— La Nouvelle-France, disait-il, doit se tapir, se garder, épargner chaque existence avec soin, éviter tout risque ; elle doit durer jusqu’à l’arrivée de renforts, quelque lointaine que soit cette date.

Au matin, Pierre apprit que le Gouverneur commandait une sortie afin de traquer la troupe insolente qui cernait le fortin. Il se joignit à une cinquantaine de soldats qui s’entassaient dans deux gribanes. Le fleuve ondulait à peine, parcouru de quelques coups de brise fraîche ; le rivage se déroulait, boueux, hérissé de joncs, bordé de forêt inaccessible.

Les hommes causaient gaiement. Car l’expédition ne différait en rien des précédentes ; elle se heurtait à la ruse classique : Iroquois dissimulés dans les herbages et provoquant une attaque