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les opiniâtres

des plaques de glace. Et, étendus de tout leur long, tronçonnés en lourdes billes par un trait de scie, s’allongeaient les troncs ébranchés, encore engoncés dans leur carapace d’écorce à profonds replis.

Attelé au bout d’une chaîne de fer, un bœuf débardait des billes sous la conduite de Jacques. Pierre achevait de couper un bouleau dont le tronc blanc ressortait parmi les colonnes mouillées des ormes et des érables. Et la futaie sans feuille, immobile, enclosait ces scènes d’un mur solide tout en écoutant les troupes de freux exprimer leur surprise dans des exclamations sonores.

François s’arrêta près de son père. Celui-ci lui jeta un rapide coup d’œil, donna deux ou trois coups de hache encore ; puis il s’assit sur une souche où il avait déposé son gilet. Et comme son fils ne parlait pas, il dit d’un ton interrogateur :

— Oui ?

— Les Français sont revenus d’Onnontagué.

— Tous.

— Tous. Je les ai vus aux Trois-Rivières. Ils sont arrivés hier soir en arrière des glaces. Tu te souviens de Pierre Radisson ?

— Oui.

Malgré son inquiétude, Pierre sourit. Qui ne se rappelait aux Trois-Rivières ce gamin adroit et gai ? Capturé à seize ans au lac Saint-Pierre, il s’était tout de suite concilié les Iroquois. Repris aux portes mêmes du poste après un meurtre et une première évasion, il avait trouvé de nouveau le moyen d’échapper à la torture. Alors qu’elle le croyait mort, sa famille l’avait vu revenir soudain, par la voie de l’Europe, comme s’il tombait du ciel : les Hollandais de Manhatte avaient favorisé sa seconde évasion. Durant ce séjour de dix-huit mois parmi les Agniers, il avait appris leur langue et observé leurs mœurs. Le Gouverneur avait retenu ses services lorsqu’il avait décidé de construire une résidence à Onnontagué.