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Enveloppée dans une mauvaise peau d’orignal, Koïncha s’était tapie dans un champ de blé d’Inde. L’humide vent d’automne battait les longues tiges sèches ; les feuilles se déroulaient comme des pennons beiges. À tout instant, une averse croulait, le sol devenait ruissellement d’eau, vapeur blanche, pulvérisation de gouttes. Trempée, transie par le froid, l’Algonquine se réveillait, frissonnait un peu, puis elle se rendormait dans la désolation solitaire de cette terre abandonnée.

Le crépuscule vint vite, un crépuscule nuageux, en forme d’éteignoir se rabattant sur des rayons de lumière. Koïncha détendit ses membres ; elle s’assit à même la terre humide, froide et noire ; elle mâcha quelques grains de maïs et rampa à plat ventre jusqu’à la lisière. Non loin s’élevait la bourgade palissadée ; des troncs d’arbres, légèrement inclinés, plantés dans le sol, formaient muraille de dix-huit pieds de hauteur ; par-dessus, apparaissaient quelques toits ronds, un peu aplatis. Au delà, la forêt mouillée composait un fond vert et lointain.

Koïncha se redressa parmi les tiges bruissantes. Plus que jamais, elle ressemblait à une grolle géante avec ses épaules noires, hautes et larges, sa tête enfoncée, presque sans cou, son buste courbé, ses courtes jambes, ses pieds tournés à l’intérieur. Avec l’âge, sa peau rugueuse avait perdu toute sensibilité, ses membres, toute souplesse. Elle cheminait droit devant elle, massive, lourde comme un sanglier qui fonce. Le chef branlant, les yeux décolorés, sans plus d’expression que ceux des ruminants, elle examinait le village iroquois. Puis elle se laissa choir de nouveau dans cette eau et dans cette boue, et elle attendit, mâchonnant toujours du maïs.