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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/20

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les opiniâtres

l’image d’un pays revêche. Quel était au vrai ce continent qui se défendait contre toute intrusion par des distances si démesurées ? Un peu inquiet comme la majorité des passagers, terriens d’origine, il recherchait maintenant la compagnie des colons qui couraient au même destin. Anne l’entraînait dans l’orbite de la famille Le Neuf. Des terreurs avaient envahi l’esprit des femmes.

— Ce n’est pas la route de la Nouvelle-France, mais celle du cimetière, affirmait la grand’mère.

Son fils aîné, monsieur de la Potherie, supportait mal la traversée. Mais monsieur du Hérisson conservait son égalité d’humeur. Esprit positif et froid, sans imagination, peu doué de cette sensibilité qui produit les sentiments excessifs, il s’opiniâtrait dans une appréciation plus exacte des événements et préservait son sens de l’humour.

— Ces deux mois nous approvisionnent de souvenirs pour la vie, disait-il.

Ses propos dans le brouillard rétablissaient le sang-froid de ces gens exténués de misères.

C’est monsieur du Hérisson qui avait porté toute sa famille à transmigrer. Il avait tiré des renseignements de Champlain, de Pont-Gravé, des armateurs De Caën ; il avait lu plusieurs ouvrages attentivement ; l’hiver passé, Olivier le Tardif, de passage en France, lui avait soumis des projets bien conçus. C’est donc dans une entreprise mûrement étudiée qu’il s’était embarqué avec tous les siens. Lui seul savait bien où il allait.

— Notre domaine manquait d’ampleur, disait-il à Pierre ; nous menions une existence de plus en plus étriquée. Là-bas, demander suffit : nous obtiendrons des seigneuries aussi riches et aussi étendues que nos désirs. À l’heure présente, la Nouvelle-France a besoin aussi de gens comme nous tous : colons, soldats, officiers, notables.

S’il n’exagérait pas les maux de l’état présent, monsieur du Hérisson n’exagérait pas non plus