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les opiniâtres

— Mais non, pauvre vieux, répétait Hertel. Tu ne peux circuler en forêt durant l’été ; tu n’es pas un Sauvage.

Pierre a passé outre ; mais les halliers l’ont lié de leurs lanières et l’ont retenu. Alors, il a profité du délai pour s’emplir les yeux du spectacle de la Nouvelle-France. Il a vu venir la flottille des canots hurons surchargés de fourrures. Un Jésuite est descendu sur le sable, pieds nus, soutane moisie, bréviaire attaché au col, émacié comme un agonisant. Les Indiens ont installé un campement provisoire et déchargé les ballots de peaux de castor perçues dans l’immensité du continent. Par l’intermédiaire des interprètes, un pénible marchandage s’est ouvert. Hurons et Français ont palabré en la monotonie des conseils ; le Gouverneur y assistait et François Hertel traduisait chacun des discours. Danses, banquets barbares, courses à pied, Pierre a tout observé.

Pendant ces cérémonies, Pierre s’impatientait. Pourquoi cette précipitation en ses veines ? Pourquoi cette impétuosité ? Sous la contrainte de sa volonté, il procédait avec lenteur ; mais la volonté oubliait et alors l’allure s’accélérait. L’indolence exigeait un effort. Vite, toujours plus vite ; que fuyait-il, que pourchassait-il avec cette rapidité ? Quoi qu’il entreprît, — travail, amusement, — bientôt il était absorbé tout entier et peinait.

Enfin se présenta le jour de l’établissement. L’automne s’achevait. À cette époque, la forêt n’est plus que squelette ; toute sa feuillée disparue, elle demeure étrangement amenuisée, amoindrie ; elle a perdu volume et poids. Les arbres qui revêtaient une si massive apparence, avec leurs ramures éployées, qui occupaient tant d’espace, ne conservent plus que des fûts gris et des branches contrefaites. Le sous-bois même a fondu ; et l’on