Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/82

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Ysabau semblait ainsi porter son bonheur à l’abri des intempéries, comme en un sachet imperméable ; cependant, elle n’était pas réfractaire aux influences du dehors ; Pierre s’en rendit compte à la suite de deux événements.

Courbés en deux, l’un à la suite de l’autre, Pierre, Ysabau, Marie Marguerie, coupaient du sarrasin à la faucille dans les premiers jours de septembre ; ils déposaient ensuite bien en ordre derrière eux les javelles de tiges branchues, mi-vertes, mi-rougeâtres. À peu de distance, David Hache liait d’une hart chaque gerbe courte et dodue. Ainsi rapetissait peu à peu la grande tache noire qui s’arrondissait dans les essarts, — estafilade ouverte dans le flanc de la forêt. Le vent avait déjà refroidi ; au ciel couvert de nuages mobiles, le soleil apparaissait de temps à autre, plaquant quelques minutes sur le sol une nappe de chaleur et de lumière ; puis il s’éteignait et là-bas l’éteule des prairies et des emblavures frissonnait sous les rafales.

Vers quatre heures, Pierre dit aux femmes :

— Nous terminerons seuls maintenant.

— À tout à l’heure alors, Pierre.

— Le pain sera prêt à enfourner ?

— Oui, Pierre — Se redressant, Ysabau et Marie étirèrent en riant leurs membres endoloris. Elles marchèrent l’une à côté de l’autre, égrenant dans les rafales les notes de leurs voix. Relevant la tête, David Hache les regardait aller une minute. Passés à la chaux, la cabane et les bâtiments luisaient soudain d’un éclat aveuglant sous un rayon solaire égaré. L’herbe des regains étonnait par son vert trop tendre, presque maladif. Quatre heures à peine et le soir frais assombrissait la vallée.