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les opiniâtres

largement son exploitation, diriger des hommes, terminer à loisir l’aménagement du domaine.

Il ordonnait son dessein dans une grande dilatation de joie.

— On rit, pensait-il, on est heureux quand on construit. Prendre une étendue de terre en forêt et la façonner, c’est créer dans un état de satisfaction intérieure. Et le résultat de son travail se présente là, devant soi, tangible, visible, comme une belle haie de chêne, sans nœud. Voilà de l’ouvrage sain et qui rend l’homme franc, honnête, bon surtout. Rien de truqué dans ce succès-là, rien de louche, rien de faux ; de bon aloi comme l’or, voilà. On n’éprouve plus de doute, on n’a pas de mal à l’âme, l’intelligence vit en paix.

Pierre se leva. À bout de bras, il enleva une grosse bûche d’érable qu’il déposa sur l’épais lit de braises déjà accumulées ; elle brûlerait toute la nuit, veillant, cœur de flamme, pendant qu’Ysabau et lui dormiraient en paix. C’est alors qu’ils entendirent des coups répétés à la porte. Pierre tout de suite en alerte se précipita sur son arquebuse, mais Ysabau dit :

— C’est Jacques Hertel, c’est sa manière de frapper.

Par la porte ouverte, comme si l’on eût levé une vanne, le froid s’engouffra, visible comme une brume. Jacques entra. « Bonsoir, bonsoir », dit-il, et il se rendit devant l’âtre pour déposer ses raquettes, son mousquet, enlever une lourde pelisse de fourrure. Ysabau attendait les mots plaisants dont l’interprète était coutumier ; celui-ci ne brisa pas son silence. Une appréhension la saisit.

— Jacques, Jacques, qu’est-il arrivé ?

— Aussi bien vous le dire tout de suite : Marguerie et Thomas Godefroy ont disparu.

— Disparu ?

— Oui.

— Les Iroquois ?