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la justice, et qui possèdent des connaissances légales qui leur permettent de juger pertinemment d’une procédure. Je suis moi-même depuis plusieurs années le principal officier de la plus haute cour de justice du pays, et j’ai puisé dans cette position quelques connaissances théoriques et pratiques sur les principes fondamentaux de la justice et du droit, ainsi que sur la protection qui est due à un accusé absent. Il est vrai que nous avons tous puisé nos connaissances et nos notions de justice et de pratique légale dans des auteurs laïcs et dans des cours laïques ; mais comme il ne saurait y avoir deux modes contradictoires d’administrer honnêtement la justice, il est évident per se que si une cour ecclésiastique condamne par exemple un absent sans l’avoir sommé de venir se défendre, cette cour, tout ecclésiastique qu’elle soit, a violé toutes les règles de la justice et du droit, ainsi que les plus étroites obligations de conscience ; et aussi que si elle a confondu des questions essentiellement différentes pour éluder une décision demandée, et pour condamner une nouvelle partie légale que l’on a mise en cause sans l’en prévenir, cette cour a encore là violé toutes les règles de la procédure, même ecclésiastique. Elle a donc fait de l’arbitraire au lieu d’exercer la justice.

Et voilà précisément ce qui est arrivé à notre égard. On a confondu des questions essentiellement différentes, on a attribué à l’un ce qui était exclusivement le fait de l’autre ; on a déplacé les responsabilités, accueilli des dénonciations secrètes, (faites par un Évêque sans doute, mais qui n’en étaient pas moins secrètes puisque les intéressés n’en ont jamais eu la moindre communication) on a adroitement mêlé à notre appel des questions qui n’ont surgi que quatre ans plus tard, et tout cela, pour venir dire que la question de l’Institut « était réglée. » Et, chose étrange, le décret même qui prétend avoir réglé cette question n’en dit absolument pas un mot ! Il y fait bien allusion sans doute, mais cette allusion ne fait que rendre plus palpable l’intention bien arrêtée de ne pas la régler, puisque, malgré cette allusion, on n’y revient pas pour la décider ; et puisque le décret, malgré cette allusion à la vraie question, passe lestement à une nouvelle question complètement différente de la première et sur laquelle on condamne une partie différente des appelants sans l’avoir jamais mise en demeure de se défendre !

Voilà l’expérience que nous avons faite de la justice romaine !

Or ce n’est pas parceque l’on me signifie que l’on ne me répondra pas que je dois m’abstenir de rétablir les faits tels qu’ils sont et les questions dans leur intégrité. Je comprends très bien, après l’espèce de justice que l’on nous a fait subir, que l’on aperçoive parfaitement l’impossibilité de maintenir rationnellement la position que l’on s’est faite ; mais de ce que l’on se retranche dans le mutisme après avoir fait de l’arbitraire, il ne suit pas que les victimes de cet arbitraire soient tenues de l’accepter sans protestation.

Au reste il ne faut pas avoir lu beaucoup d’histoire ecclésiastique pour savoir ce que les plus grands saints et les plus illustres écrivains de l’Église ont écrit de tout temps sur la justice romaine et l’inutilité habituelle des recours à Rome. Et je vois par moi-même aujourd’hui combien étaient justes les sévères reproches que Mgr. Strossmayer adressait naguère en plein Concile à la Curie romaine sur son inefficacité. Quand des Évêques protestent aussi énergiquement en pareil lieu contre les imperfections du système et l’incompétence de ceux qui l’administrent, comment pourrions-nous maintenant le regarder comme offrant les garanties voulues et méritant la confiance publique ?

Nous n’avons pas été jugés, à Rome, dans les formes voulues même par le droit canonique, qui exige qu’un accusé soit toujours entendu, et le premier écolier venu sait que cela équivaut à n’avoir pas été jugé du tout. De même les censures de Mgr. de Montréal contre les membres catholiques de l’Institut n’ont pas non plus été portées