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St. Thomas, Suarez, et Bellarmin lui même, consacrent ce principe.

Eh bien, s’il faut qu’un écrivain soit mis à l’index aujourd’hui parce qu’il n’accepte pas les idées politiques d’hommes qui se montrent si étrangers à leur siècle, si étrangers à toutes ces notions de droit public et même civil que la belle civilisation moderne a fait adopter partout comme source nécessaire de toute organisation sociale et politique ; qui se montrent si aveuglément hostiles à toutes les espèces de libertés : il devient clair qu’avant qu’il soit peu de temps il ne sera plus possible d’écrire une parole sans être mis à l’index. Si même dans un pays de majorité protestante, et avec un parlement où les protestants sont en majorité, il n’est pas permis de conseiller la tolérance aux catholiques que des journaux aussi imprudents qu’ignorants poussent à appliquer ici les principes les plus exagérés du Syllabus sur les questions politiques ou de police légale, et jusque dans l’organisation d’une association purement littéraire, mieux vaudrait dire de suite que la censure de la pensée est de droit étroit dans le catholicisme, et que personne ne doit publier un mot sans la permission de l’Index ou de l’Ordinaire.

Le concile de Trente a bien exprimé cette défense, mais aussi c’est une des raisons qui ont empêché sa discipline d’être acceptée dans plusieurs pays catholiques. Oserait-on maintenant publier un pareil décret aux États-Unis ?

Comment l’on peut encore espérer pouvoir réaliser pratiquement pareilles impossibilités, voilà ce qui est aujourd’hui, pour les hommes qui ont l’expérience des affaires et du monde où ils vivent, le plus incompréhensible mystère.

Et puisque la lutte est aujourd’hui soulevée par l’ultramontanisme contre la civilisation et les immenses bienfaits dont elle a doté le monde, il faut donc choisir entre la civilisation et l’ultramontanisme. Or d’un côté nous voyons celui-ci lutter avec obstination contre toutes les conquêtes de l’esprit humain et déclarer de droit divin la monarchie universelle du Pape au temporel — infaillible sur les questions de mœurs ne signifie et ne peut signifier rien autre chose que cela — et d’un côté nous voyons l’esprit humain se cramponner aux conquêtes qu’il a faites, et déclarer par tous les gouvernements et par ses plus illustres représentants dans le domaine de la pensée, qu’il n’y renoncera pas, et qu’il faut l’une de ces deux choses : ou que ce soit l’ultramontanisme qui recule, ou que ce soit la civilisation. Or comme celle-ci ne saurait pas plus reculer qu’un fleuve remonter vers sa source, la question est forcément décidée, quelles que soient les clameurs de la réaction ultramontaine qui ose encore, à l’heure qu’il est, réclamer comme de droit divin, l’immunité des ecclésiastiques de toute juridiction des tribunaux civils mêmes sur les questions de crimes et délits !  !

Quand l’aveuglement des prétentions va jusque là, il est bien évident qu’il ne reste plus qu’à attendre dans un temps plus ou moins prochain la punition providentielle de ceux qui les expriment et qui bouleverseraient encore le monde, s’ils le pouvaient, pour les imposer ; et les évènements si peu prévus des huit derniers mois semblent indiquer fortement qu’elle a déjà reçu un commencement d’exécution.

Quelle leçon !  ! que l’on fait semblant de ne pas comprendre encore ! Le dernier soutien du pouvoir temporel frappé lui aussi d’aveuglement et commençant étourdiment une guerre à laquelle il n’est pas préparé !  ! et la plus puissante nation de l’Europe écrasée et brisée en moins de six mois par sa rivale protestante, qui avait autrefois recueilli avec tant d’empressement les victimes de la révocation de l’édit de Nantes ! Et l’on ne veut pas voir là le fait d’une rétribution providentielle ! !

Ah ! c’est bien le cas de dire : « Erudimini qui judicatis terram. »

Votre Éminence semble me reprocher d’avoir parlé, ou écrit, ou exprimé publiquement des opinions pendant que notre cause était encore pendante