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exagérations, leurs injustices, leur esprit de dénigrement et leurs inconcevables violences de langage. Mais nous voyons que malheureusement l’on n’a d’oreilles que pour eux.

Pendant que les Inquisiteurs laissaient tranquillement les années s’écouler, peut-être, qui sait, dans l’espoir de nous fermer la bouche ici au profit de l’absolutisme, nos agresseurs, qui représentent la réaction intellectuelle, sociale et politique, ne négligeaient aucun moyen de nous déconsidérer dans l’opinion et d’écraser notre association. Heureusement nous étions assez forts pour lutter victorieusement contre ces petites tempêtes de religion mal entendue.

Je comprends que les hommes qui ont toujours vécu sous le régime des États Romains où aucune activité intellectuelle n’était encouragée ni même permise ; où le droit même de pétitionner l’autorité était si étrangement limité ; je comprends que ces hommes n’aient pas d’idée nette de notre état social, où l’habitude constante de la complète liberté de la presse donne à l’intelligence publique une vie et une activité qui, à Rome, semblaient être le comble du désordre moral et de l’anarchie intellectuelle. Je conçois que des hommes qui ne sont pas sortis de l’ancien état romain ne comprennent pas l’impossibilité où sont ceux qui vivent dans un pays où les partis politiques sont en lutte active, qui en faveur de l’absolutisme, qui en faveur de l’extension des libertés populaires, ne comprennent pas, dis-je, l’impossibilité où sont les uns de se taire quand les autres non seulement parlent, mais accusent avec la malveillance et le parti-pris dont nous sommes chaque jour témoins et victimes ; mais tout cela démontre quelle injustice il y a de juger de ce qui se passe dans un pays de liberté de la presse par ce qui se faisait à Rome quand le mutisme universel était la suprême expression de l’ordre public.

Il se remue plus d’idées sur ce continent en un an qu’il ne s’en remuait à Rome en un demi-siècle sous le système de la vie de collège imposée à tout un peuple. Et si l’on a cru que nous pouvions rester silencieux pendant des années sur les immenses problèmes de philosophie sociale et d’organisation politique qui agitent aujourd’hui le monde civilisé, et nous renfermer dans le mutisme en dépit des journaux du clergé qui travaillent activement à nous ramener à l’immobilité intellectuelle que l’Italie a subie depuis des siècles jusqu’au jour de sa glorieuse unification, on a tout simplement montré que l’on reste toujours complètement étranger à notre état social et aux nécessités résultant de notre organisation politique.

Depuis une longue suite de siècles, la population romaine a subi un véritable régime de collège. Nous voyons où elle en est arrivée en fait d’activité commerciale, de prospérité industrielle et de mouvement politique ; et nous ne voulons pas de ce régime. Nos notions de droit public, et notre expérience de l’ordre constitutionnel et de la liberté politique nous démontrent l’impérieuse nécessité de repousser ce système et de combattre avec énergie ceux qui semblent vouloir l’introduire ici. Nous ne renoncerons jamais à la plus grande conquête de la civilisation : le complet libre arbitre du citoyen dans la sphère temporelle et dans le domaine de l’étude et de la science ; et aussi le droit d’exprimer publiquement sa pensée sur tous les sujets dans les limites voulues par la loi. Nous voulons transmettre intact à nos enfants l’héritage de liberté politique et d’indépendance morale que nous avons reçu de nos pères, et nous combattrons coûte que coûte tout ce qui tend à nous refouler vers ce passé de compression politique, de torpeur sociale et d’esclavage moral que les maximes chères à la curie romaine ont produit partout où ses principes absolutistes ont dominé.

Nous parlons ici parce que, politiquement et intellectuellement, nous vivons ; et nous ne voulons pas de ce système qui a causé, partout où il a fleuri, la léthargie sociale, la nullification politi-