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sonnes dont je n’entends pas contester la rectitude d’intention, mais qui ne voyaient pas la main qui se cachait habilement pour faire mouvoir certains ressorts.

La question portait alors, comme elle porte encore aujourd’hui, sur les livres de la bibliothèque. L’autorité ecclésiastique locale voulait une bibliothèque expurgée suivant ses goûts, c’est-à-dire composée de manière à imprégner exclusivement l’esprit des jeunes gens des principes ultramontains les plus excessifs, principes qui, dans le passé comme aujourd’hui, signifient domination absolue de l’Église sur l’état ; domination du prêtre, de droit divin, dans toutes les questions sociales et politiques ; direction sans contrôle de toute espèce d’étude, et même surveillance habituelle des détails les plus indifférents de la vie de famille, (pourvu qu’on le laisse faire bien entendu.) Cela s’est fait à Rome de tout temps, et l’on voudrait naturellement introduire ici ce commode système qui met si facilement en coupe réglée, en quelque sorte, toutes les fortunes privées d’un pays. On a si bien momifié l’esprit humain dans l’ancien état romain que certains hommes trouveraient très commode d’en faire autant ici.

Une bibliothèque expurgée comme le voudrait l’autorité ecclésiastique locale ne mériterait plus d’être appelée un répertoire général des connaissances humaines, car les retranchements que l’on en ferait seraient tels que les livres les plus essentiels à l’étude du droit public, du droit civil, de la philosophie, de l’histoire ecclésiastique ou profane, de la littérature, de l’économie politique et des sciences positives comme la médecine, la géologie, la chimie organique, seraient impitoyablement bannis.

Nous aurions la belle science des collèges, dans lesquels nous voyons tous les jours des hommes d’une instruction considérable rester toujours étrangers aux besoins de leur époque, toujours hostiles au libre développement de l’esprit humain, toujours empêtrés dans l’idée absolutiste, et n’avoir aucunes notions exactes et pratiques sur la vie sociale et les institutions politiques des pays où ils vivent.

Je connais des professeurs de collège qui sont de véritables puits de savoir et qui ont fait les lectures immenses, mais aussi qui n’ayant envisagé les questions sociales et l’histoire en général que du point de vue borné du champ d’étude qui leur était permis, n’ont jamais pu généraliser les questions, comprendre les grands faits de l’histoire, se rendre compte de l’effet de telle institution plutôt que de telle autre sur les mœurs politique d’un peuple, ni apprécier sainement les évènements les plus ordinaires. Leur éducation, faussée par le besoin de plier tous les faits de l’histoire aux besoins d’un système, par la nécessité, dans un certain ordre d’idées, de toujours faire envisager les plus grandes fautes du clergé sous un jour favorable, les rend de tous les hommes les moins capables de saisir le côté pratique des choses. Ils veulent plier la nature humaine elle-même aux besoins d’un système qui met tout, dans le monde, les gouvernements et les peuples, les institutions et les lois, la société comme les individus, dans la main du pape, et conséquemment du prêtre, et ils expriment naïvement leurs idées et leurs désirs comme si leur acceptation pratique, dans les sociétés politiques, était chose possible.

Le clergé n’aime que cette espèce d’éducation qui fait les automates, qui empêche les hommes de faire des études sérieuses ; car je ne puis appeler sérieuse que l’étude d’un sujet sous tous les points de vue dont il est susceptible, une étude qui soit bond fide l’examen du pour et du contre. Toute étude faite d’un seul point de vue, soit clérical, soit libéral, est incomplète, et bien souvent l’esprit, au lieu d’être formé par cette étude exclusive, en est tout simplement faussé. Voilà pourquoi le savoir de collège, toujours le fruit du point de vue exclusif, est quelquefois exposé à de si