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ces choses ! Le fait est qu’il reste bien peu de pays dans le monde catholique où l’on ait rendu l’opinion assez esclave pour faire accepter comme chose voulue par la religion la déraison que l’on montre ici sur la composition de notre bibliothèque.

Quelle était donc la vraie raison du refus d’indiquer les livres ? La voici, et soyez sûrs qu’il n’y en avait vraiment pas d’autre : On n’osait pas nous dire : « Retranchez Dumoulin, retranchez Pothier, retranchez Montesquieu, retranchez de Thou, retranchez Sismondy, retranchez Lamartine, retranchez les économistes, retranchez les plus grands géologues de l’époque ! On comprenait que le rire, même des catholiques, eût été trop grand. On a donc préféré rester dans les généralités, qui ouvrent moins les yeux de la masse que les particularités, où l’esprit qui anime perce trop. N’osant pas dire franc et net ce que l’on voulait, on s’accrochait au premier prétexte venu pour mieux voiler le vrai but où l’on tendait, mais que l’on ne voulait pas explicitement déclarer.

Et ce qui me parait mettre hors de doute la rectitude de mon point de vue, c’est l’absence de toute décision sur cette question des livres dans le décret de l’Inquisition de Juillet ’69. On n’a pas non plus osé dire, dans ce décret, comme vous le verrez plus loin, qu’un catholique ne pouvait pas être membre d’une association publique incorporée qui possède des livres à l’index. Comment l’eût-on fait pour nous quand on le permet partout ? Voilà pourquoi l’on a habilement, si non très loyalement, tourné la difficulté, n’en disant pas le plus petit mot dans le décret, et soulevant une nouvelle question sans nous le dire, ce qui facilitait singulièrement la condamnation puisqu’on nous enlevait toute possibilité de nous défendre !

Les censures furent donc maintenues contre les catholiques de l’Institut parce que le corps ne retranchait pas des livres que l’on refusait péremptoirement d’indiquer !

Voilà comme l’on entend la justice et comme l’on pratique le devoir dans certains Évêchés !

— Je vous excommunie, disait Sa Grandeur, parce qu’il y a du poison dans cette bibliothèque !

— Alors, Monseigneur, voulez-vous bien montrer où est ce poison ?

— Non certes, je ne vous le montrerai pas. Mais rappelez-vous toujours que si vous ne l’ôtez pas je n’en maintiens pas moins mes censures !

Et voilà ce que l’on habitue notre population à regarder comme de la conscience !  !

Nous avons donc interjeté appel à Rome. Une requête en date du 16 Octobre 1865 fut adressée au Pape, signée par dix sept membres de l’Institut, parmi lesquels se trouvait notre regretté confrère Guibord, qui témoignait bien par cette démarche de ses sentiments catholiques, ce qui n’a pas empêché qu’on a défendu à sa dépouille mortelle l’entrée d’un cimetière non béni !  !  ! acte que j’invite nos adversaires à concilier avec le plus simple bon sens.

Noire requête était accompagnée d’un mémoire au Cardinal Barnabo, préfet de la Propagande, exposant notre point de vue de la difficulté. Plusieurs mois s’écoulent, et pas même d’accusé de réception quoique je l’eusse formellement demandé dans mon mémoire. J’écris enfin pour savoir si l’on a reçu les papiers. Ma lettre était datée du 15 Juin 66, 8 mois après l’envoi de nos papiers. Alors on se réveille enfin et le Cardinal Barnabo me répond la lettre que voici, traduite de l’italien.

Très illustre Monsieur,[1]

J’ai reçu depuis quelque temps

  1. Ceci ne cadre pas exactement avec la dernière lettre de Son Éminence, où je ne suis plus que « le susdit Dessaulles, » chose qui m’est fort indifférente au fond ; mais cette apostrophe seule montre combien l’on a, à Rome, la marotte des titres puisque l’on me faisait ainsi la même apostrophe qu’aux Évêques, que l’on aime tant aujourd’hui à appeler : « les Princes de l’Église. » Il y aurait presque eu, dans cette splendide apostrophe, de quoi me rengorger, si je m’occupais le moins du monde d’un titre.