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Contes d’un buveur de bière

Cette fois encore, il s’éveilla à midi & fut tout penaud, quand il vit par la fenêtre qu’on dressait la table pour le dîner.

« La princesse eſt-elle venue ? demanda-t-il.

— Oui bien. Elle a remis pour vous cette écharpe couleur de feu & a dit qu’elle repasserait demain à sept heures, mais pour la dernière fois. »

« Il faut qu’on m’ait jeté un sort, » pensa le petit soldat. Il prit l’écharpe, qui était en soie brodée d’or au chiffre de la princesse, & qui exhalait un parfum doux & pénétrant. Il la noua autour de son bras gauche, du côté du cœur, &, réfléchissant que le meilleur moyen d’être levé à l’heure était de ne point se coucher du tout, il régla sa dépense, acheta un cheval vigoureux avec l’argent qui lui reſtait, puis, quand vint le soir, il monta en selle & se tint devant la porte de l’auberge, bien décidé à y passer la nuit.

De temps à autre il penchait la tête sur son bras pour respirer le doux parfum de son écharpe. Il la pencha tant & tant, qu’à la fin il la laissa tomber sur le cou de sa monture, & bientôt cheval & cavalier ronflèrent de compagnie.

Cheval & cavalier dormirent jusqu’au lendemain, sans débrider.

Lorsqu’arriva la princesse, on eut beau les appeler, les secouer & les battre, rien n’y fit. L’homme & l’animal ne s’éveillèrent qu’après son