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Contes d’un buveur de bière

fatigue, &, de plus, si mal chaussé que ses souliers semblaient près de le laisser en route.

« Eſt-ce que vous ne pourriez mie, demanda-t-il au maître de la hutte, m’indiquer l’échoppe d’un savetier ?

— Il n’y a par ici ni savetiers ni cordonniers, répondit l’autre. Nous sommes tous sabotiers de père en fils &, de notre vie vivante, nous n’avons porté de souliers. »

Le voyageur parut désappointé.

« Mais vous-même, reprit le sabotier en regardant son tablier de cuir, n’êtes-vous point cordonnier de votre état ?

— Je l’ai été, repartit l’inconnu, &, bien que les cordonniers soient d’ordinaire fort mal chaussés, j’ai vraiment honte à traverser ainsi la capitale du royaume des Pays-Bas. Vendez-moi donc, je vous prie, une paire de sabots. »

Il entra dans la hutte &, après avoir trouvé chaussure à son pied, il ouvrit son escarcelle. Le sabotier s’aperçut qu’elle ne contenait que cinq sous, &, prenant en pitié la misère du vagabond, il lui dit :

« Gardez votre argent, fieu de Dieu. Ce n’eſt point moi qui priverai de ses derniers patards un pauvre vieux las d’aller tel que vous.

— Puisque vous avez l’âme si bonne, répondit l’étranger, je ne veux point vous le céder en hon-