Page:Deulin - Contes d’un buveur de bière, 1868.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

147
Manneken-Pis

nêteté. Laissez-moi vous conter une hiſtoire. Pour n’être point d’aujourd’hui, elle n’en eſt pas moins véritable.

Après l’arbre de vie & le fatal pommier qui damna le genre humain, le plus bel arbre du paradis terreſtre était un superbe pêcher. Ce fut aussi le seul qui reſta sur la terre quand, par la faute d’Adam, le jardin des délices disparut de ce monde.

Or, il y a dix-huit cents ans, j’ai été condamné pour avoir manqué de charité, à un voyage qui n’eſt point près de finir.

Un jour que je passais par l’endroit où verdoyait jadis le paradis, je vis le merveilleux pêcher, & j’y cueillis trois pêches.

Je les mangeai dans le dessein de me fortifier le cœur contre les fatigues d’un si long pèlerinage, & je gardai les noyaux, afin d’en faire don à ceux qui pratiquent sincèrement l’amour du prochain, que j’avais si mal pratiqué.

Depuis dix-huit cents ans que je parcours le monde, je n’en ai encore placé que deux. J’ai offert le premier à saint Martin, patron des francs buveurs, quand, à la porte d’Amiens, il partagea son habit avec un faux invalide qui n’était autre que Belzébuth ; j’ai offert le second au roi Robert de France, lorsque, surprenant un pauvre diable de voleur qui coupait la frange de son manteau,