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Martin & Martine

Il saisit son grand couteau & commença de l’aiguiser.

« Je vous reconnais bien là, dit alors sa femme. Notre fille eſt tantôt en âge de se marier, &, à cause de vos goûts dépravés, personne n’en voudra que le grand Guillaume. Il nous tombe du ciel un fils de roi dont nous pourrions faire un gendre. Monsieur n’a rien de plus pressé que de le mettre à la broche. On n’eſt pas plus mauvais père ! »

L’ogre qui, au fond, n’était point un méchant homme, fut sensible à ce reproche. D’ailleurs, la perspective d’avoir un prince pour gendre lui souriait fort.

« Ah ! c’eſt le fils d’un roi, dit-il. Eh bien ! s’il s’engage à épouser Martine, je consens à m’en passer, bien qu’il semble déjà tout rissolé. »

Martin n’avait nullement envie de se marier. Il regarda Martine. La pauvre fille n’était point belle, mais sa figure exprimait tant de bonté qu’elle vous gagnait le cœur.

Le gars jugea qu’il devait être moins désagréable de faire le bonheur de la fille que celui du père. « Je l’épouserai, » dit-il, & le visage de Martine rayonna.

Le jeune prince lui avait plu tout de suite, & elle déteſtait profondément le grand Guillaume, un vieux célibataire, qui la recherchait à cause de sa dot.