Page:Dick - Le Roi des étudiants, 1903.djvu/9

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rien pour délier la langue et mettre de l’ordre dans les idées comme quelques bons verres de « Molson ». Je seconde la motion de Labrosse.

— Adopté, « carried ! » vociféra le petit Caboulot.

La joie reparut triomphante autour de la table chargée de bouteilles, de verres, de pipes et de tabac. Pendant plus d’une heure, ce fut un déluge de rasades, de chansons, de bons mots à faire pâlir les orgies romaines. Lafleur chanta vingt fois son « grand-père Noé ; » le Caboulot s’enroua pour quinze jours à gouailler chacun de ses amis ; Cardon se grisa comme un Polonais, tout en encourageant les autres à boire sec, attendu que les « provisions » ne manquaient pas. Quant à Després, malgré qu’il eût avalé presque une bouteille à lui seul, il n’y paraissait guère. Seulement, il était devenu grave et rêveur, comme d’habitude : car c’était là le seul effet que les spiritueux semblassent produire sur cette organisation de fer.

Mais, si grave et si rêveur qu’il fut, il le cédait pourtant, sous ce rapport, de beaucoup à Champfort. Jamais le jeune homme, d’ordinaire gai et assez solide buveur, ne s’était montré à ses amis enveloppé dans un semblable nuage de tristesse et de mélancolie.

Tant qu’il avait été en pleine possession de son sang-froid, il s’était efforcé de se raidir contre le « spleen » qui l’envahissait. Aux saillies de Caboulot, aux jeux de mots barbares de Lafleur, aux épigrammes de Cardon, il avait ri… oui, mais d’un rire nerveux, forcé, qui faisait mal. Puis était venu cet état de demi-ivresse, où les idées se mettent franchement à galoper sur le chemin de la rêverie et où le cœur vient aux lèvres, prêt à s’ouvrir à tous les épanchements.