Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/239

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— Et Grip aussi, » dit Barnabé en présentant son petit panier ouvert.

Le corbeau sautilla gravement dehors, se percha sur l’épaule de son maître, et, s’adressant à M. Haredale, il cria, comme pour donner à entendre peut-être que quelque rafraîchissement modéré ne serait pas de refus :

« Polly, mettez la bouilloire au feu, nous prendrons tous du thé !

— Écoutez-moi, Marie, dit affectueusement M. Haredale, comme il lui faisait signe de le suivre vers la maison. Votre vie a été un exemple de patience et de courage, sauf cette unique faiblesse qui m’a souvent causé beaucoup de peine. C’est bien assez de savoir que vous fûtes cruellement enveloppée dans la catastrophe qui me priva d’un frère unique et Emma de son père, sans être obligé de supposer (comme cela m’arrive parfois) que vous nous associez avec l’auteur de notre double infortune.

Vous associer avec lui, monsieur ! s’écria-t-elle.

— Réellement, dit M. Haredale, je vous en accuse quelquefois. Je suis tenté de croire que, comme de nombreux liens attachaient votre mari à notre parent, et qu’il est mort à son service et pour sa défense, vous en êtes venue en quelque sorte à nous confondre dans l’assassinat dont il a été victime aussi.

— Hélas ! répondit-elle, que vous connaissez peu mon cœur, monsieur ! que vous êtes loin de la vérité !

— C’est une idée si naturelle ! Il est probable qu’elle vous vient malgré vous et à votre insu, dit M. Haredale, se parlant à lui-même plutôt qu’à elle. Nous sommes une maison déchue. L’argent, dispensé de la main la plus prodigue, ne serait qu’une pauvre indemnité pour des souffrances telles que les vôtres ; répandu avec économie par des mains aussi étroitement serrées que les nôtres, il devient une misérable dérision. Je sens cela, Dieu le sait, ajouta-t-il avec précipitation. Pourquoi m’étonnerais-je qu’elle le sente aussi ?

— Vous me faites vraiment tort, cher monsieur, répondit-elle avec une grande vivacité ; et quand vous aurez entendu ce que je désire avoir la permission de vous dire….

— Je verrai mes soupçons se confirmer ? dit-il en observant qu’elle balbutiait et devenait confuse. C’est bien ! »