Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/278

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blement à vos oreilles. Je suis déjà d’un certain âge, comme vous voyez. Je suis le père de l’homme que vous daignez distinguer par-dessus tous les autres. Puis-je, pour de puissantes raisons qui me sont bien pénibles, vous prier de m’accorder ici une minute d’entretien ? »

Comment une jeune fille, étrangère à la ruse, avec un cœur plein d’une noble franchise, aurait-elle pu douter de la sincérité de cet homme, surtout quand elle reconnaissait dans sa voix l’écho affaibli d’une voix qu’elle connaissait si bien et qu’elle aimait tant à entendre ? Elle inclina la tête, s’arrêta, et jeta les yeux sur le sol.

« Un peu plus à l’écart, entre ces arbres. C’est la main d’un vieillard que je vous offre, mademoiselle Haredale ; une main loyale et honnête, croyez-le bien. »

Elle y mit la sienne comme il disait ces mots, et se laissa conduire vers un siége voisin.

« Vous m’alarmez, monsieur, dit-elle à voix basse. Vous n’êtes pas porteur de quelque mauvaise nouvelle, j’espère ?

— D’aucune que vous puissiez craindre avant de m’entendre, répondit-il en s’asseyant près d’elle. Édouard va bien, tout à fait bien. C’est de lui que je désire vous parler, certainement ; mais je n’ai pas de malheur à vous annoncer. »

Elle inclina la tête de nouveau, comme pour le prier de poursuivre, mais sans rien dire elle-même.

« Je sais que j’ai tout contre moi dans ce que je vais avoir à vous dire, chère mademoiselle Haredale. Croyez-moi, je n’ai pas oublié les sentiments de ma jeunesse au point de ne pas savoir que vous êtes peu disposée à me regarder d’un œil favorable. Vous m’avez entendu dépeindre comme un homme au cœur froid, positif, égoïste.

— Je n’ai jamais, monsieur, interrompit-elle d’un air mécontent et d’une voix ferme, je n’ai jamais entendu parler de vous en termes durs ou incivils. Vous ne rendez pas justice au naturel d’Édouard, si vous croyez votre fils capable de sentiments si bas et si vulgaires.

— Pardonnez-moi, ma douce jeune demoiselle, mais votre oncle….

— Ce n’est pas non plus dans le caractère de mon oncle, répliqua-t-elle, et sa joue se colora davantage ; il n’est pas dans