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BARNABÉ RUDGE

ments de palais sur des marécages desséchés et comblés, ni de petites cités en rase campagne. Quoique cette partie de la Tille fût alors, comme de nos jours, sillonnée de rues et fort peuplée, sa physionomie était bien différente. La plupart des maisons avaient des jardins ; le long du trottoir s’élevaient des arbres ; on respirait de tout côté une fraîcheur que, par ce temps-ci, on y chercherait vainement. On avait à sa porte des champs à travers lesquels serpentaient les eaux de New River, et il se faisait là dans l’été de joyeuses fenaisons. La nature n’était pas si éloignée, si reculée qu’elle l’est de nos jours ; et, quoiqu’il y eût beaucoup d’industries actives dans Clerkenwell, et des ateliers de bijoutier par vingtaines, c’était un endroit plus salubre, plus à proximité des fermes, qu’une foule d’habitants du nouveau Londres ne seraient disposés à le croire, plus à portée aussi des promenades pour les amoureux, promenades qui se changèrent en cours dégoûtantes, longtemps avant que les amoureux de ce siècle eussent été mis au monde, ou, selon la phrase consacrée, avant qu’on pensât seulement à eux.

Dans l’une de ces rues, la plus propre de toutes, et du côté de l’ombre (car les bonnes ménagères savent que le soleil endommage les tentures objet de leurs soins, et elles aiment mieux l’ombre que l’éclat des rayons pénétrants) se trouvait la maison dont nous avons à nous occuper. C’était un modeste bâtiment, qui n’était pas de la dernière mode, ni trop large, ni trop étroit, ni trop haut ; il n’avait pas de ces façades hardies avec ces grandes fenêtres qui vous regardent effrontément ; c’était une maison timide, clignant des yeux, pour ainsi dire, avec un toit en cône qui se dressait en forme de pic au-dessus de la fenêtre du grenier, garnie de quatre petits carreaux de vitre, comme un chapeau à cornes sur la tête d’un monsieur âgé, qui n’a qu’un œil. Elle n’était pas bâtie en briques ni en pierres de taille, mais en bois et en plâtre ; elle n’avait pas été dessinée avec un monotone et fatigant respect de la symétrie, car il n’y avait pas deux fenêtres pareilles ; chacune d’elles semblait tenir à ne ressembler à rien.

La boutique, car il y avait une boutique, était au rez-de-chaussée, comme toutes les boutiques ; mais là toute ressemblance entre elle et une autre boutique cessait brusque-