Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/100

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Les chefs de l’émeute, rendus plus audacieux encore par leurs succès de la nuit dernière et par le butin qu’ils avaient conquis, retenaient fermement unies les masses de leurs partisans, et ne songeaient qu’à les compromettre assez pour n’avoir plus à craindre que l’espoir de leur pardon ou de quelque récompense ne leur donnât la tentation de trahir et de livrer entre les mains de la justice les ligueurs les plus connus.

Il est sûr que la crainte de s’être trop avancés pour pouvoir désormais obtenir leur pardon retenait les plus timides sous leurs drapeaux non moins que les plus braves. Beaucoup d’entre eux, qui n’auraient pas fait difficulté de dénoncer les chefs et de se porter témoins contre eux en justice, sentaient qu’ils ne pouvaient espérer leur salut de ce côté, parce que leurs propres actes avaient été observés par des milliers de gens qui n’avaient pas pris part aux troubles ; qui avaient souffert dans leurs personnes, leur tranquillité, leurs biens, des outrages de la populace ; qui ne demanderaient pas mieux que de porter témoignage, et dont le gouvernement du roi préférerait sans doute les déclarations à celles de tous autres. Dans cette catégorie se trouvaient beaucoup d’artisans qui avaient laissé là leurs travaux le samedi matin ; il y en avait même que leurs patrons avaient revus prenant une part active au tumulte : d’autres se savaient soupçonnés, et n’ignoraient pas que, s’ils revenaient dans leurs ateliers, ils seraient remerciés sur-le-champ. D’autres enfin avaient agi en désespérés dès le commencement, et se consolaient avec ce proverbe populaire qui dit que, pendu pour pendu, autant vaut l’être pour un mouton que pour un agneau. Tous d’ailleurs espéraient et croyaient fermement que le gouvernement, qu’ils semblaient avoir paralysé, finirait, dans son épouvante, par compter avec eux et par accepter leurs conditions. Les plus raisonnables se disaient qu’au pis aller ils étaient trop nombreux pour qu’on pût les punir tous, et chacun aimait à croire qu’il avait autant de chances d’échapper au châtiment que personne. Quant à la masse, elle ne raisonnait pas et ne pensait à rien, obéissant seulement à ses passions impétueuses, aux instincts de la pauvreté, de l’ignorance, à l’amour du mal, à l’espérance du vol et du pillage.

Il est encore à remarquer que, à partir du moment de leur