Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/122

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d’un coup de tonnerre ; non, ce fut la cloche. La forme la plus hideuse du plus épouvantable revenant que l’imagination humaine ait jamais pu se figurer, aurait surgi devant lui, qu’il n’aurait pas fui devant elle, d’un pas chancelant, avec autant d’horreur qu’il en montra au premier son de cette voix de fer retentissante. Les yeux lui sortaient de la tête, il tremblait de tous ses membres, sa figure était horrible à voir, avec sa main droite levée en l’air, la gauche pressant en bas quelque objet imaginaire qu’il frappait à coups redoublés, comme le meurtrier qui plonge un poignard au cœur de sa victime ; puis il se tira les cheveux, il se boucha les oreilles, il courut à droite, à gauche, comme un fou ; puis enfin il poussa un cri effroyable et se rua dehors : et toujours, toujours la cloche tintait à sa poursuite, plus fort, plus fort, plus vite, plus vite. L’embrasement devenait plus brillant, le tumulte des voix plus profond ; l’air était ébranlé par la chute de corps pesants qui craquaient en tombant. Des ruisseaux d’étincelles enflammées jaillissaient jusqu’au ciel ; mais il y avait quelque chose de plus sonore que la chute des murs ruinés, de plus rapide pour monter jusqu’au ciel que les étincelles de l’incendie, de plus furieux, de plus sauvage mille fois que le bruit confus des voix, quelque chose qui proclamait d’horribles secrets longtemps ensevelis dans le silence, quelque chose qui parlait la langue des morts : la cloche ! … la cloche ! »

Une meute de spectres n’aurait jamais devancé à la course cette poursuite rapide, cette chasse enragée ; une légion de revenants à ses trousses ne lui aurait pas inspiré tant de crainte. Cela aurait eu au moins un commencement et une fin, tandis qu’ici c’était répandu par tout l’espace. Il n’y avait qu’une voix acharnée à sa poursuite, mais elle était partout : elle éclatait sur la terre, elle éclatait dans l’air ; elle courbait en passant la pointe des herbes, elle hurlait à travers les arbres frémissants. Les échos la doublaient et la répétaient, les hiboux la saisissaient au passage dans le vent pour y répondre ; le rossignol, de désespoir, en perdait la voix et allait cacher son effroi au plus épais des bois. Elle avait l’air de presser et de stimuler la colère de la flamme en délire ; tout était abreuvé d’une teinte écarlate ; le feu brillait partout. La nature semblait noyée dans le sang ; et toujours le