Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/142

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— Deux fois, milord, dit John. Je l’ai vu dans la foule hier au soir et samedi.

— Est-ce que…. est-ce que vous lui avez trouvé l’air aussi singulier, aussi étrange ? continua lord Georges d’une voix faible.

— Fou ! répondit John avec une concision énergique.

— Et qu’est-ce qui vous fait croire qu’il est fou, monsieur ? lui dit son maître d’un ton de dépit. Je vous trouve bien prompt à lâcher ce mot-là. Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il est fou ?

— Milord, vous n’avez qu’à voir son costume, ses yeux, son agitation nerveuse ; vous n’avez qu’à l’entendre crier : « Pas de papisme ! » Fou, milord.

— Ainsi, parce qu’un homme s’habille autrement que les autres, répliqua son maître avec colère, en jetant un coup d’œil sur son propre habillement ; parce qu’il n’est pas dans son port et dans ses manières exactement comme les autres, et qu’il épouse avec chaleur une cause qu’abandonnent les gens corrompus et irréligieux, c’est une raison pour qu’il soit fou, à votre avis ?

— Un vrai fou, tout ce qu’il y a de plus fou, un fou à lier, repartit l’inébranlable John.

— Comment osez-vous me dire cela en face ? cria son maître en se tournant vivement de son côté.

— Je le dirais à n’importe qui, s’il me faisait la même question.

— Je vois, dit lord Georges, que M. Gahsford avait raison. Je croyais que c’était un effet de ses préventions, et je me le reproche ; j’aurais bien dû savoir qu’un homme comme lui était au-dessus de cela.

— Je sais bien que M. Gashford ne parlera jamais en bien de moi, répliqua John en touchant respectueusement son chapeau, et je n’y tiens pas.

— Vous êtes une mauvaise tête, un ingrat, dit lord Georges, un mouchard, peut-être. M. Gashford a parfaitement raison, j’en ai la preuve. J’ai tort de vous garder à mon service. C’est une insulte indirecte que j’ai faite à un ami digne de mon affection et de toute ma confiance, quand je songe à la cause pour laquelle vous avez pris parti, le jour où on l’a maltraité à Westminster. Vous quitterez ma maison dès ce soir…. ou plutôt dès notre retour. Le plus tôt sera le mieux.