Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/15

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regardé du côté de sir John Chester, pour lui demander s’il y avait quelque chose de vrai dans ce qu’on disait là de Gashford, et chaque fois sir John lui avait répondu en haussant les épaules et en lui faisant des yeux qui voulaient dire : « Oh ciel ! non. » Alors milord reprit, toujours aussi haut et avec la même affectation que tout à l’heure :

« Monsieur, je n’ai rien à vous répondre, et ne me soucie pas d’en entendre davantage. Je vous prie de ne pas m’imposer votre conversation, et de ne point me mêler dans vos attaques personnelles. Je ferai mon devoir envers mon pays et mes compatriotes, et ce n’est point par de telles violences qu’on m’en empêchera, qu’elles viennent ou non des émissaires du pape, je vous en réponds ; venez, Gashford. »

Ils avaient fait quelques pas, tout en parlant, et ils étaient arrivés à la porte de la salle, par laquelle ils passèrent ensemble. M. Haredale, sans un mot d’adieu, tourna du côté de l’escalier de la Tamise dont il était près, et appela le seul batelier qui se trouvât encore au bas.

Mais la populace, dont l’avant-garde n’avait pas perdu une parole de lord Georges Gordon, et dans laquelle avait promptement circulé le bruit que l’étranger était un papiste qui venait d’insulter milord pour s’être fait l’avocat de la cause populaire, se précipita pêle-mêle et, poussant devant elle le noble lord, son secrétaire et sir John Chester, qui avaient l’air d’être à sa tête, se réunit en foule au haut de l’escalier où M. Haredale attendait que le bateau fût prêt, et là se tint tranquille, laissant entre elle et lui un espace vide.

Mais si elle était inactive, elle n’était pas pour cela silencieuse. Il commença par s’élever au milieu d’eux quelques murmures indistincts, suivis de quelques sifflets, qui bientôt eux-mêmes se transformèrent en un orage violent. Alors on entendit une voix crier : « À bas les papistes ! » et tout le monde fit chorus, rien de plus. Quelques moments après un homme se mit à crier : « Il faut le lapider ; » un autre : « Il faut lui donner un plongeon ; » un autre d’une voix de stentor : « Pas de papisme ! » les autres répétèrent en écho ce cri favori que la foule (environ deux cents braillards) accueillit par une acclamation générale.

M. Haredale était resté calme jusque-là sur le bord des marches : en entendant cette manifestation, il leur jeta à la